Livre

Dictionnaire

Malraux en kaléidoscope

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2012 - 717 mots

Un prolifique « Dictionnaire Malraux » apporte une nouvelle pierre à l’édifice biographique de l’écrivain-ministre.

Alors que la bibliographie sur le sujet, entre témoignages de proches et récits à tendance hagiographique, se déroule déjà sur une bonne dizaine de pages, trois historiens spécialisés se sont attelés à une entreprise ambitieuse : publier un dictionnaire destiné à défricher, une bonne fois pour toutes, la vie et l’œuvre d’André Malraux (1901-1976).

Riche de quelque 300 notices et privilégiant « la plus grande diversité des approches », l’outil parvient à apporter un nouvel éclairage en abordant le sujet dans ses moindres détails – et ils sont nombreux. Au fil des notices, tout ce qui a trait à Malraux y est en effet passé au crible, de l’œuvre littéraire à l’action ministérielle, des engagements politiques à la dépression chronique souvent noyée dans le whisky, de l’enfance passée dans l’arrière-boutique d’une épicerie de Bondy (Seine-Saint-Denis) à la guerre d’Espagne, de l’amour de l’art à l’obsession de la mort, qui ne l’aura guère épargné.

« Des coups réussis »
En multipliant ainsi les entrées, cette somme va donc au-delà de la simple biographie. Elle privilégie la multiplicité des regards, les notices ayant été rédigées par des universitaires mais aussi par des écrivains (Jorge Semprún [1], Bernard-Henri Lévy), des conservateurs de musée (Pierre Cambon), des historiens de l’art (Thierry Dufrêne) ou des témoins directs. Ainsi de Sophie de Vilmorin (1), la dernière compagne, auteure d’un texte pudique et émouvant, décrivant les derniers jours d’André Malraux sur son lit de l’hôpital Henri-Mondor. Elle revient avec une pointe d’amertume sur la manière dont la presse aurait surinterprété les mots sibyllins prononcés par l’écrivain avant sa mort : « C’est une interminable corvée ! »

Plus loin, c’est l’historien Pierre Nora qui analyse, dans un article consacré à la « panthéonisation » de 1996 organisée sous le mandat de Jacques Chirac – grâce à sa plume de l’époque, Christine Albanel –, la volonté du président de la République de rechercher par ce biais une « forme de ressourcement, d’onction gaullienne ». C’est dans ce même lieu, le Panthéon, que l’écrivain-ministre aura prononcé l’un de ses discours les plus vibrants, l’oraison funèbre rendant hommage à Jean Moulin (19 décembre 1964) qui fit écrire en 1971, à Pierre-Henri Simon, dans Le Monde : « S’il ne devait demeurer dans les archives de la nation qu’un seul document sur la confuse et noble épopée de Résistance, il faudrait que ce fût celui-là. »

Les articles sur Malraux ministre, rédigés par Charles-Louis Foulon, inlassable historien de la « Malrucie » et auteur d’un remarqué André Malraux, ministre de l’irrationnel (éd. Gallimard, 2010), ouvrage qui écornait le mythe du ministre fondateur, sont tout autant instructifs (lire le JdA, no 331, 24 sept. 2010). Membre marginal du gouvernement, peu accroché à ses dossiers, souvent injoignable, peinant à fidéliser ses collaborateurs compétents, Malraux « se consolait avec des coups réussis », selon la formule empruntée à l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Étienne Burin des Roziers. Non sans lucidité sur la relativité de son pouvoir, quand il confesse : « Ce que je veux est fou, ce que je peux est nul. » Le rôle de certains proches conseillers, tel Albert Beuret, ancien garçon coiffeur devenu chef de cabinet puis exécuteur testamentaire et grand retoucheur de l’action de Malraux – il a reconnu avoir fait disparaître de nombreux documents n’ayant pas trait à la création littéraire –, y est aussi finement analysé.

Ambivalence
Il aura fallu plus de cinquante ans pour que l’histoire des premières années du ministère des Affaires culturelles, dont le périmètre a été « arraché à l’Éducation nationale », s’écrive dans toute son ambivalence. Cela même si des proches collaborateurs (Max Querrien, André Holleaux, Pierre Moinot…) du ministre s’étaient déjà livrés à des confessions souvent peu amènes mais néanmoins éclairantes. Par la synthèse de cette masse de récits et d’archives, ce dictionnaire produit l’effet d’un grand kaléidoscope sur une personnalité complexe, livrant une mine d’informations pour qui veut pénétrer dans les méandres de la galaxie Malraux. Le lecteur méticuleux y en apprendra – encore – beaucoup sur cette vie singulière, de celles qui se prêtent à ce traitement éditorial atypique.

André Malraux. Dictionnaire, sous la direction de Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz-Lavau, Michaqël de Saint-Cheron, CNRS Editions, 889 p., 39 €, ISBN 978-2-271-06902-3.

Note

(1) décédés depuis.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Malraux en kaléidoscope

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque