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Un musée à l’image de Clyfford Still

Par Erica Cooke · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2012 - 855 mots

Le Clyfford Still Museum vient d’ouvrir ses portes à Denver, dans le Colorado. Il conserve près de 95 % de la production de l’artiste expressionniste abstrait.

DENVER (COLORADO) - « Mon travail dans son intégralité est comme une symphonie dans laquelle chaque tableau a son rôle », disait Clyfford Still. Trente et un ans après sa mort en 1980, le Clyfford Still Museum a ouvert ses portes à Denver (Colorado) le 18 novembre. Le projet financé à hauteur de 29 millions de dollars (22,3 millions d’euros), s’étend sur 2 800 m2 et abrite environ 2 400 œuvres de l’expressionniste abstrait, soit près de 95 % de son travail. Provenant directement de l’artiste et de son épouse Patricia, les œuvres ont été entreposées depuis sa mort, et la plupart n’ont jamais été exposées.

Dans son testament, court mais exigeant, Still stipulait que ses biens doivent rester en réserve jusqu’à ce qu’une ville américaine accepte de construire un musée qui lui serait « exclusivement » consacré. Parmi ces exigences, aucune œuvre ne doit « être vendue, donnée ou échangée » et la collection doit être préservée « à perpétuité pour être exposée et étudiée ». Sa veuve a fait le choix de Denver après avoir décliné plus d’une vingtaine d’offres, dont celles de New York, San Francisco, Atlanta, Washington DC, et Fargo, lieu de naissance de l’artiste. Elle avait pourtant rejeté l’offre de Denver en 1999, avant de l’accepter en 2004, le maire John Hickenlooper ayant fini par la convaincre. Le directeur des lieux Dean Sobel explique que Denver convient à l’œuvre de Still car elle est une « porte ouverte sur l’ouest, en bordure des montagnes Rocheuses ». Le groupe des expressionnistes abstraits était basé à New York et en était très influencé. Mais Still a passé la première moitié de sa vie sur la côte ouest, peignant des paysages et des portraits dans les années 1920 et, plus tard, en transformant le « vaste paysage » qu’est la région en un assemblage abstrait de couleurs intenses à l’échelle monumentale. « Turner a peint la mer, mais à mes yeux, les plaines étaient tout aussi majestueuses », disait-il.

Une diffusion étroitement contrôlée
La méfiance de Still pour le monde de l’art était connue. Ses collaborations avec des galeries lorsqu’il vivait à New York dans les années 1950 furent brèves et orageuses. Il est parti pour le Maryland en 1961 pour rester maître de la manière dont son œuvre était, et serait, interprétée. Il choisissait avec minutie ses acheteurs, et imposait des restrictions sur les dons faits aux musées, en insistant par exemple, sur le fait que son ensemble de vingt-huit tableaux légués au San Francisco Museum of Modern Art en 1975 ne devait jamais voyager ou être exposé parmi les œuvres d’autres artistes. Il a également limité le nombre de fois que ses œuvres pouvaient être exposées. Seules trois rétrospectives ont été autorisées de son vivant, la dernière étant celle qu’il organisa en 1979 au Metropolitan Museum of Art, à New York.

Dean Sobel insiste sur le fait que Still n’avait pas entièrement tourné le dos au marché de l’art : « Nous avons dans les archives la preuve qu’il a vendu un important tableau la dernière année de sa vie. » Le musée privé a vendu quatre de ses tableaux chez Sotheby’s pour se constituer un fonds de dotation. Ces œuvres avaient été léguées à la ville via la succession de Patricia Still, ainsi leur vente n’allait pas à l’encontre de la volonté du peintre. Selon le contrat entre la ville, le comté de Denver et Sotheby’s, la maison de vente devait d’abord proposer les œuvres dans le cadre d’une vente privée à une autre institution publique ; une manière de respecter le vœu de Still selon lequel les œuvres restent ensemble. Sotheby’s n’ayant pas trouvé d’acheteur avant la date butoir du 19 septembre, les œuvres ont été vendues aux enchères à New York le 9 novembre, pour un total de 114 millions de dollars (87,7 millions d’euros).

Les œuvres, mais que les œuvres
Situé à deux pas du Denver Art Museum, le nouveau musée ne pourra pas compter sur des acquisitions, des prêts ou des confrontations avec d’autres artistes pour fidéliser ses visiteurs. Dean Sobel reste pourtant sûr du pouvoir d’attraction du musée : « Denver deviendra une destination. » Dessiné par Brad Cloepfil d’Allied Works Architecture, le bâtiment, hormis une modeste boutique, ne propose ni restaurants ni auditorium – le but étant de procurer aux visiteurs une expérience artistique dénuée de médiation « si renversante, qu’ils auront envie de revenir », explique Dean Sobel. D’allure discrète, l’édifice en béton laisse filtrer la lumière naturelle de manière à souligner la texture des surfaces et la subtilité des tons. « [La succession Still] est la dernière grande succession de l’expressionnisme abstrait », a déclaré au New York Times en 2007 David Anfam, spécialiste du domaine et auteur d’un ouvrage sur Still. « Nous connaissons toutes les autres – Pollock, De Kooning, Motherwell, Rothko, Newman, Gottlieb, Kline. Elle n’a presque jamais été vue dans son ensemble. La succession Picasso est peut-être la seule à rivaliser. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°360 du 6 janvier 2012, avec le titre suivant : Un musée à l’image de Clyfford Still

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