Critique d'art

Pierre Vilar, « Écrits sur l'art de Michel Leiris »

Dans le « bain oculaire » de Leiris

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2011 - 749 mots

Les divers écrits sur l’art du poète et ethnologue, proche du marchand Daniel-Henry Kahnweiler, font l’objet d’une première compilation. PAR SOPHIE FLOUQUET

Au sein de l’épaisse somme des pages consacrées par Michel Leiris (1901-1990) à l’art, il est une remarque sur la peinture de l’Espagnol Joan Miró qui révèle assez bien sa manière d’appréhender le sujet. « Art tout de spontanéité, art sensible, art ouvert, la production de Joan Miró n’a que faire des commentaires esthétiques et des démonstrations, écrit Michel Leiris. La seule conclusion possible de ces notes est un conseil pratique sur la meilleure façon d’aborder une œuvre de Miró. Faire le vide en soi, la regarder sans arrière-pensée et s’y baigner les yeux, comme dans une eau où ils pourront se laver de la poussière accumulée autour de tant de chef-d’œuvre. » Écrivain prolifique, le poète et ethnologue laisse ici la critique sur place. Pour lui, « le bain oculaire », selon la formule de Pierre Vilar, enseignant à l’université Paris-Diderot et artisan de cette compilation, se révèle parfois plus efficace. Dans le cas de Leiris, il va s’en dire que celui-ci a baigné dans le milieu artistique. Écrivain lui-même, les artistes sont ses amis et son épouse, Louise Leiris, est l’associée du célèbre marchand Daniel-Henry Kahnweiler, dont elle est aussi la belle-fille. Officiellement, elle n’en aura été longtemps que la belle-sœur, la situation de Lucie Godon, mère de Louise (née d’un père inconnu) avant son mariage avec Kahnweiler, n’étant révélée qu’en 1992.

« Miró le sorcier »
Les œuvres sont aussi côtoyées au quotidien par le couple, par le biais d’une importante collection Leiris-Kahnweiler, révélée au public lors de son legs aux musées nationaux, en 1982, et qui repose désormais au Musée national d’art moderne. C’est par l’intermédiaire de Max Jacob, en 1922, que celui qui n’est encore qu’un jeune poète en mal de publication rencontre André Masson, dans son atelier de la rue Blomet (Paris-15e). Avec Picasso, la rencontre aura lieu deux ans plus tard, au détour d’une galerie d’art. La suite se fera par capillarité, au sein de ce cercle proche des surréalistes qui résistera à la guerre, et comprenant notamment Wifredo Lam et Alberto Giacometti. Avec Francis Bacon, les choses se passeront bien plus tard, la soixantaine passée, mais de manière tout aussi décisive. Considéré comme l’un de ses découvreurs, Leiris sera parmi les plus fervents prosélytes de l’art du Britannique, signant les textes de ses premiers catalogues français.

Dans cet épais recueil qui constitue aussi une chronique de la vie artistique des années 1920 aux années 1980, d’autres noms, à peine effleurés, sont tout autant admirés, tels ceux de Hans Arp, Elie Lascaux (membre de la famille), Henri Laurens ou Fernand Léger. Réunie pour la première fois, l’intégralité de ces textes connus écrits sur l’art – Pierre Vilar prévient toutefois que quelques inédits auraient pu échapper à sa sagacité – est ici présentée de manière chronologique. Il y a là de tout, du bref poème à la chronique, en passant par le texte monographique ou le récit descriptif, des textes publiés dans la revue Documents, fondée par Georges Bataille, aux catalogues édités par les galeristes de la famille. Dotés d’un important appareil critique – parfois peu commode à la lecture –, tous sont analysés sous l’angle littéraire plus que de la critique d’art. Mais quel critique d’art Michel Leiris, engagé envers ceux qui sont aussi ses amis, était-il au juste ? À l’exception d’un court texte fustigeant Max Raphaël, qui avait osé traiter Picasso, en 1933, de « peintre bourgeois », Leiris n’écrit que sur ceux qu’il aime, c’est-à-dire les grands peintres modernes du XXe siècle. Masson, « peintre pour penser », y occupe logiquement une place à part, lui inspirant une quinzaine d’écrits entre 1924 et 1984, dont des portraits poétiques qui semblent faire écho aux portraits peints par Masson du poète. Leiris consacre aussi des poèmes à « Miró le sorcier », voue une passion à Picasso, « génie sans piédestal », divague devant les sculptures de Giacometti et se fascine pour la pauvreté de son atelier de la rue Hippolyte-Maindron (Paris-14e), qu’il décrit presque à la manière d’un ethnologue pénétrant un univers étranger fascinant. En définitive, l’art y apparaît toujours comme le support d’une réflexion littéraire, dénuée des tics d’écriture et du systématisme souvent propres à la critique d’art. Mais Leiris n’était-il pas, au fond, un écrivain d’art ?

ÉCRITS SUR L’ART DE MICHEL LEIRIS, édition établie par Pierre Vilar, CNRS Éditions, 672 pages, 29,90 €, ISBN 978-2-271-07075-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Pierre Vilar, « Écrits sur l'art de Michel Leiris »

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