Entretien

Thomas Olbricht, collectionneur : « Un précurseur du mélange des genres »

Par Olga Grimm-Weissert · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2011 - 673 mots

Professeur de médecine, héritier d’une entreprise de produits parapharmaceutiques biologiques (Wella), Thomas Olbricht adore les contrastes. Collectionneur boulimique et cultivé, il s’est d’abord intéressé aux gravures anciennes avant de collectionner les éditions d’artistes d’après-guerre tels que Gerhard Richter dont il possède l’œuvre gravée complète. Il va la montrer l’année prochaine dans sa fondation, un espace d’exposition très en vogue à Berlin : Me Collectors Room.

Olga Grimm-Weissert  : Dans quel esprit achetez-vous ?
Thomas Olbricht : Mon principe est de ne pas acquérir de l’art qui soit en première ligne partout. Cela nécessite un sens de l’esthétique, éventuellement une esthétique de la laideur, sachant que l’avenir de l’art est incertain. Car je ne sais pas si les œuvres que j’achète seront considérées comme de l’art, ou pas.

O. G. : Où achetez-vous ?
T. O. : Je n’achète pas dans un cercle étroit de galeries, mais partout, dans le monde entier, où je trouve des choses qui me conviennent.

O. G. : Un trait marquant de votre collection est la présence d’un nombre très important de femmes-artistes.
T. O. : Cela est exact. J’ai organisé une exposition en 2002 au Danemark avec uniquement des femmes-artistes. Elles sont clairement visibles dans ma collection, sans que cela soit un but en soi. Ne me demandez pas pourquoi. Il existe actuellement un nombre plus important de très bons artistes qu’il y a quarante ou cinquante ans. Cela est encore renforcé dans ma collection. Les femmes sont supérieures aux hommes. Je les adore ! Sarah Lucas, Marlène Dumas, Cindy Sherman…

O. G. : Vous m’avez dit que le sapin de Noël en bronze de Giampaolo Bertozzi et Stefano Dal Monte Casoni, Rebus (2011), est votre œuvre préférée.
T. O. : Je dirais, employant une tautologie, qu’il s’agit d’un « cas de particularité unique ». L’ambiguïté fait partie intégrante de l’œuvre : faire semblant que quelque chose soit authentiquement naturel, mais non produit par la nature. Ensuite, on voit un sapin de Noël avec des boules, sur lesquelles on a peint des scènes du Kama sutra. Cette œuvre me touche tellement que je ne pouvais pas faire autrement que de l’acheter. Je n’aurais pas supporté que quelqu’un d’autre la possède !

O. G. : La présentation de votre collection en ce moment à la Maison rouge, à Paris (1), est assez inhabituelle, car vous mélangez aisément toutes les époques. Quelle est l’ambition ?
T. O. : Personnellement, je veux rapidement saisir les situations, je n’aime pas rester longtemps devant chaque œuvre. La confrontation des pièces m’importe plus que chaque objet individuel. J’éprouve beaucoup de plaisir à mélanger l’ancien et le nouveau. Mais cela ne doit pas devenir un principe immuable. Je raconte des histoires, qui sont mes fantaisies. Me Collectors Room, à Berlin, n’est pas un musée, sa présentation n’est pas forcément scientifique. Mon but est de faciliter l’accès à l’art à tout le monde, particulièrement aux jeunes.

O. G. : La présence d’œuvres baroques est marquante. Pourtant, cette époque exubérante, catholique et savante n’est pas tellement à la mode.
T. O. : Il faut que je vous contredise, car ce n’est qu’en France que ce n’est pas en vogue ! On m’a averti que cela ne conviendrait peut-être pas au goût français, le « show » serait trop catholique, trop allemand, trop sévère. Mais, partout dans le monde, ce mélange fait un tabac ! On montre des objets de curiosité avec de l’art contemporain, par exemple la Marlborough Gallery [New York] avec la galerie Steinitz [Paris] à New York en ce moment. Je suis un précurseur du mélange des genres, ce Zeitgeist, cet esprit du temps actuel. Entretemps, plusieurs autres personnes ont été « contaminées ». Il n’y a quasiment plus de collectionneur contemporain qui n’élargisse pas aux maîtres anciens. J’ai présenté une telle exposition au Folkwang Museum à Essen, en Allemagne, en 2007, juste avant celle de l’antiquaire belge Axel Verwoordt au Palazzo Fortuny, à Venise, au moment de la Biennale de l’art contemporain.

Note

(1) « Mémoires du futur, la collection Olbricht », jusqu’au 15 janvier 2012, Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, 75011 Paris, www.lamaisonrouge.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Thomas Olbricht, collectionneur : « Un précurseur du mélange des genres »

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