Paroles d'artiste

Yann Kersalé : « La lumière, une matière »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2011 - 737 mots

Faisant suite à sept réalisations in situ antérieures, Yann Kersalé (né en 1955) occupe l’Espace Fondation EDF, à Paris, avec un projet en sept étapes associant lumière et images vidéo à des reconfigurations de l’espace et de la surface de projection.

L'oeil : Entre juillet et septembre 2011, vous avez réalisé des installations lumineuses sur sept sites bretons, créant un parcours partant des fonds marins et aboutissant à un environnement urbain. Chacun de ces lieux donnent ici naissance à une installation. Y transposez-vous une expérience vécue sur le site ou créez-vous quelque chose de totalement nouveau à partir de cette expérience ?
Yann Kersalé : J’ai de tout temps beaucoup travaillé sur les traces de certaines expérimentations. Elles ont même été des traces au-delà de la trace documentaire, comme un film réalisé avec Henri Alekan sur une installation que j’avais faite en Bretagne. J’aime assez cette mise en abyme, qui dans l’histoire de l’art remonte à la nuit des temps, et je voudrais continuer à travailler sous cette forme-là, c’est-à-dire, d’un travail en faire un autre, et de cet autre peut-être un troisième. Ici même il y a l’idée d’une troisième partie qui serait un long métrage, ni documentaire ni de fiction, mais un film réellement conçu pour les salles de cinéma.

L’œil : Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette mise en abyme : créer une nouvelle expérience, modifier le lieu sur lequel vous êtes déjà intervenu avec un autre degré d’intervention, créer une autre texture, raconter une autre histoire ?
Y. K. : La mise en abyme est justement un peu tout cela à la fois. Raconter une autre histoire, mais raconter une histoire fondée sur une histoire vraie, même si elle a été modifiée, transfigurée. Car c’est la lumière solaire disparue qui permet de repartir à l’aventure de la découverte de l’objet et de la forme. Du coup la mise en abyme est un travail de profondeur, de relecture d’une affaire établie. C’est peut-être parce que [le philosophe Jean] Baudrillard m’a beaucoup marqué, mais la notion duelle, les idées de miroir et de renvoi sont passionnantes. Je crois que c’est là qu’un travail d’artiste peut vraiment s’épanouir. Pour moi c’est un peu comme une musique répétitive de Terry Riley ou de Brian Eno, ce sont des morceaux musicaux qui peuvent ne jamais s’arrêter. Il y a quelque chose de cet ordre-là.

L’œil : Est-ce la raison pour laquelle vous employez fréquemment des miroirs ? Deux œuvres en font usage ici, et vous avez ménagé des jeux de reflets et des perspectives depuis la mezzanine.
Y. K. : On rencontre le miroir partout si on y prête attention. Combien de photographes ont fait des travaux à travers des vitrines, ou des doubles images ? Car il y a la question du reflet mais aussi celle de la transparence. Les architectes avec lesquels je travaille, tel Jean Nouvel, sont des maîtres en la matière ; ils travaillent avec des ping-pong de reflets, des jeux de profondeur. Sur les installations que vous mentionnez, ces miroirs sont de petits subterfuges pour donner de l’amplitude à certaines pièces, en flouter d’autres, etc. Mais tout cela fait partie intégrante de la lumière. Elle se travaille comme une matière, par rapport à tous ces phénomènes de rebondissement, de réflexion, de translucidité, de transparence. Il y a dans cette exposition une palette de sept écrans différents, donc sept façons de jouer sur la projection.

L’œil : Le fait qu’il n’y ait pas deux installations formellement similaires induit un travail de sculpture de l’image. L’écran prend parfois la forme d’une sphère, d’un motif rocheux, d’un plafond en lamelles…
Y. K. : Jusqu’à même transformer l’écran ! J’espère démontrer là ce qui m’intéresse depuis de nombreuses années, soit le modelage, le jeu si proche finalement du travail de Rodin quand il sculptait non pas en retranchant de la matière avec un marteau et un burin, mais au contraire en la poussant. Cela a ensuite été exploré par d’autres comme Giacometti puis César avec ses Expansions ou ses Compressions. Finalement je me retrouve dans un travail assez proche de la matière avec ce jeu de modelage, de modulation dans tous les sens du terme, que la lumière me permet d’effectuer.

YANN KERSALÉ. SEPT FOIS PLUS À L’OUEST

Jusqu’au 4 mars 2012, Espace Fondation EDF, 6, rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45, fondation.edf.com, tlj sauf lundi 12h-19h. Catalogue co-éd Fondation EDF/Archibooks, 112 p., ISBN 978-2-35733-164-8, 18 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Yann Kersalé : « La lumière, une matière »

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