Biennale

Une terrible ambivalence

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2011 - 692 mots

En jouant des contraires dans une tentative de compréhension du monde, la 11e Biennale de Lyon fait souffler un vent frais.

LYON - Face à l’usine Tase, un vaste site de production de soieries synthétiques désaffecté, se déploie un curieux jardin à la française, sagement ordonné, bordé de statues classiques et dont l’allée débouche sur… un terrain jonché d’ordures. Citant le décor du film d’Alain Resnais L’Année dernière à Marienbad (1961), l’Argentin Jorge Macchi résume à merveille, avec Marienbad (2011), les tensions et questionnements parcourant la 11e édition de la Biennale de Lyon, répartie sur quatre sites et confiée cette année à sa compatriote Victoria Noorthoorn. L’œuvre s’offre à la fois sage et violente, rationnelle et irrationnelle, théâtrale sans être déconnectée du réel, soit autant d’oppositions qui caractérisent l’exposition dans son ensemble, à l’instar de son titre emprunté à Yeats : « Une terrible beauté est née ».

C’est l’une des réussites de cette biennale globalement satisfaisante que de ne pas asséner un discours calibré pétri d’idées arrêtées ou de bonnes intentions, comme c’était le cas de la précédente édition notamment. Intelligemment, la commissaire joue des contraires entre réel et imaginaire, tout en détricotant les certitudes, à l’image des sculptures drôles et décalées de la Brésilienne Erika Verzutti, réparties dans l’ensemble de la Sucrière.

Compréhension et contradictions
Dès l’entrée dans la Sucrière, c’est une notion de théâtre du quotidien qui est mise en exergue, avec des rideaux entrouverts par Ulla von Brandenburg, laissant à penser qu’ils donnent accès à l’arrière, aux coulisses (Kulissen, 2011). Pas loin de là, la Brésilienne Laura Lima a installé un performer sanglé dans de lourds élastiques accrochés aux piliers et qui tente d’aller de l’avant : mais l’homme tire-t-il l’édifice ou est-ce ce dernier qui le retient dans Puxador (Pilares) (1998-2011) ? L’Argentin Eduardo Basulado convie, lui, le visiteur sur un paysage lunaire s’animant d’une brusque montée d’eau et de son reflux tout aussi soudain (Le Silence des sirènes, 2011).

Les artistes invités s’attachent aussi, pour beaucoup, à des tentatives de compréhension du monde contemporain et des contradictions qui les agitent. Dans son film The Day Trip Project (2011), Julien Discrit fait circuler un véhicule en miroir qui absorbe le paysage tout en même temps qu’il le reflète, défiant l’idée d’espace. Et le Tchèque Zbynek Baladrán dessine des univers possibles dans une tentative d’exploration d’un monde qui serait rationnel (Model of the Universe, 2009). La quête utopique n’est pas négligée, comme le montre le beau projet de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige s’intéressant aux fusées construites au Liban dans les années 1960 avec The Lebanese Rocket Society (2011). L’accrochage fait toutefois montre, notamment au dernier niveau, d’un aspect un peu brouillon, avec l’enchaînement de projets assez peu lisibles sur l’état du monde, tels celui du Mexicain Erik Beltran et du Slovaque Stano Filko.

Au Musée d’art contemporain, c’est à l’inverse un accrochage précis, parfois chargé ou aéré, qui scande la visite. La commissaire montre son habileté à entretenir un rapport sensible aux œuvres tout en affirmant des partis pris à travers des propositions non exemptes de contenu politique, à l’instar du film du Colombien José Alejandro Restrepo s’intéressant à l’importance des mains dans le discours (L’Art de la rhétorique manuelle, 2010), ou de la remarquable installation de la Tchèque Eva Kotátkova traitant de l’idée de « rééducation », sous la torture notamment (The Re-education Machine, 2011). Une séquence de l’exposition abordant l’emprise du pouvoir sur les corps et l’espace, et de ses effets néfastes évidemment, est toutefois un peu longuette, même avec des œuvres de qualité de Marlène Dumas, Michel Huisman ou Christian Lhopital par exemple.

Néanmoins, un autre motif de satisfaction relatif à cette biennale tient dans le fait qu’elle n’apparaît pas dictée par le marché ou « roulant » pour une écurie déterminée. En se focalisant notamment sur les scènes latino-américaines et d’Europe de l’Est, Victoria Noorthoorn permet d’y faire de nombreuses découvertes, dans une proposition où le constat lucide n’entrave pas, et c’est notable, des échappées vers le rêve.

UNE TERRIBLE BEAUTÉ EST NÉE. 11e BIENNALE DE LYON

Jusqu’au 31 décembre, lieux et horaires divers, www.bien naledelyon.com.
Catalogue, éd. Les Presses du Réel, 360 p., ISBN 978-2-8406-6485-7

11e BIENNALE DE LYON

Direction artistique : Thierry Raspail
Commissariat : Victoria Noorthoorn
Nombre d’artistes : 78

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Une terrible ambivalence

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