Anniversaire (II)

Les performances d’une funambule

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2011 - 903 mots

Les Arts décoratifs fêtent leurs cinq ans de réouverture. L’occasion d’évoquer la reconquête du public et les difficultés d’une institution toujours sur le fil.

PARIS - « L’Ucad est morte, vive les Arts décoratifs ». C’est avec ces mots que Béatrice Salmon, directrice des Musées des arts décoratifs, a pris la parole lors de la présentation publique du bilan de l’institution aux termes de cinq années écoulées depuis sa réouverture. L’occasion de rappeler qu’après dix ans de fermeture et de travaux interminables, cet organisme privé, fondé en 1882, a finalement réussi à passer le cap du XXIe siècle. Regroupant à la fois les Musées des arts décoratifs, de la publicité, de la mode et une bibliothèque, tous installés au palais du Louvre, ainsi que le Musée Nissim de Camondo et l’école éponyme, l’institution avait troqué son ancienne appellation d’Union centrale des arts décoratifs (Ucad) pour un patronyme témoin de sa renaissance.

La directrice des musées n’hésite pas à parler de « reconquête du public » pour évoquer le travail réalisé ces cinq dernières années. Et de citer des chiffres de fréquentation en hausse : près de 500 000 visiteurs pour ses musées en 2010, soit une augmentation de plus de 20 % par rapport à 2009 (lire l’encadré). La clé du succès : « Un socle patrimonial et un regard contemporain, avec une réelle transversalité entre les arts. La volonté de faire des Arts décoratifs un lieu de ralliement pour les créateurs », résume Béatrice Salmon. La création semble bien être le maître mot de cette « maison grande et petite à la fois », comme le souligne sa directrice. Une maison d’une grande fragilité puisque tous les projets culturels sont suspendus à sa capacité à lever des fonds privés. L’exercice est d’autant plus périlleux que les effectifs n’ont pas augmenté depuis sa réouverture. La cellule « mécénat » se résume à une seule personne – à titre indicatif, celle du Louvre en compte vingt. La masse salariale dépend en effet d’une convention passée avec l’État, qui finance à 60 % le fonctionnement des musées. Pour tout le reste, des acquisitions aux expositions en passant par les restaurations, les Musées des arts décoratifs doivent trouver des solutions. Les conservateurs travaillent souvent sur des expositions alors que leur montage financier n’est pas encore bouclé. « Il faut se battre tout le temps, nous sommes en permanence sur le fil », reconnaît Béatrice Salmon en se comparant à une funambule.

Recours au privé
Pour autant, la situation des Arts décoratifs, jusque-là atypique, se banalise et l’écart avec les établissements publics se réduit, le recours au privé étant devenu systématique pour eux aussi. L’institution créée par des collectionneurs dans le sillage des expositions universelles du XIXe siècle a ainsi vu arriver pléthores de concurrents. Elle a également subi de plein fouet la crise économique dont les premiers symptômes se sont fait sentir dès 2008. Si certaines expositions ont été repoussées ou annulées, globalement, « le public a été au rendez-vous ces dernières années », tempère Béatrice Salmon, car « il y a une appétence réelle du public pour les domaines de la culture ». En revanche, les revenus liés à la location d’espaces ou au mécénat culturel n’ont, eux, pas été épargnés.

Pourtant, la maison possède une réelle expérience en la matière. Les Amis du musée sont passés de 700 adhérents en 2006 à 2 000 en 2011, tandis que les entreprises sont sollicitées par le biais du Club des partenaires fondé en 2008. Un Comité stratégique est venu compléter l’action du Comité international lancé 1997. Toutes ces initiatives sont le fait de la présidente des Arts décoratifs, Hélène David-Weill, éminente personnalité du monde de l’art dont l’action s’inscrit dans la pure tradition philanthropique à l’heure où les musées entraînent le mécénat dans la voie du parrainage ou du sponsoring. Une tentation assumée sans complexe par les Arts décoratifs. Au programme de 2012, les visiteurs ne seront pas surpris de découvrir différentes monographies mettant des marques à l’honneur tels Van Cleef & Arpels ou Louis Vuitton et Marc Jacob, à la fois sujets et « mécènes » de leurs expositions. Pour Béatrice Salmon, il n’y a aucune ambiguïté : « Dès le départ, nous passons un accord avec les marques qui nous garantissent une totale indépendance scientifique. C’est un système très particulier qui ne peut, évidemment, pas être adapté à un autre type de musée. » Les prochains mois témoigneront de l’éclectisme des Arts décoratifs avec au programme le designer Maarten Baas, le graphiste Stefan Sagmeister et Babar, mais aussi Jean-Paul Goude, l’auteur du défilé parisien du 14 juillet 1989. Dans le même temps, les équipes s’activent à la recherche de nouveaux financements pour acquérir une collection de 3 700 boutons du XVIIIe au XXe siècle. Reconnu « d’intérêt patrimonial majeur », l’ensemble est estimé à 435 000 euros. Pour ce, l’institution envisage même un appel sur Internet où chacun pourrait participer.

LE CHEMIN PARCOURU

Budget annuel : 35 millions d’euros
Nombre de visiteurs : 500 000 en 2010 (408 000 en 2009)
Nombre d’œuvres exposées : 6 000 (sur les 700 000 que compte la collection)
Depuis cinq ans : 2,2 millions de visiteurs, 12 885 pièces entrées dans les collections (dont 10 920 issus de libéralités) pour une valeur de 14,5 millions d’euros, 61 expositions organisées, 36 publications, inauguration de cinq nouveaux espaces (galerie des bijoux, galerie des jouets, galerie d’étude, galerie d’actualité et grande nef)

Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50

Musée Nissim de Camondo, 63, rue Monceau, 75008 Paris, tél. 01 53 89 06 40, www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Les performances d’une funambule

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