Peinture

Oehlen dans le tableau

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 915 mots

En une trentaine d’œuvres, dont certaines montrées pour la première fois, le Carré d’art, montre l’incessante recherche de l’artiste allemand.

NÎMES - L’exposition d’été du Carré d’art, à Nîmes (Gard), porte pour seul titre le nom de l’artiste : Albert Oehlen. On verra là une affirmation à se défier du rôle et de la pression des mots devant la peinture, devant le risque de sa réduction à la référence, à l’idée et au concept, pour se tenir dans la peinture. Mais sans sacralité avec, au contraire, une grande liberté d’écriture et d’invention dans les limites acceptées et revendiquées du tableau (du format), mais aussi avec un mélange de désinvolture et de précision, d’esprit d’aventure et de convictions vérifiées. Loin pour autant des logiques de système, sur le plan formel aussi bien que des techniques comme des enjeux qu’il y a à peindre, Oehlen (né en 1954) se montre ici dans le long terme d’une démarche consistante, sur une vingtaine d’années puisque les œuvres les plus anciennes montrées datent de 1992, et les plus récentes de 2011.

Elles se répartissent en quatre ensembles : des peintures abstraites du courant des années 1990, des « peintures grises » produites entre 1998 et 2008, des « Computer Paintings » qui incluent par collage et surpeint des tirages d’imprimantes agrandis, ainsi qu’un ensemble significatif du travail récent, montré pour la première fois, de « Finger Malerei » (peinture au doigt). On ne note pas de système, mais une position, marquée évidemment par le contexte de l’artiste allemand, formé et diplômé à Hambourg en 1981, collaborant en particulier pour des projets d’exposition avec Martin Kippenberger – « Cela permettait des choses que l’on ne ferait pas tout seul », précise-t-il dans le riche entretien qui est le cœur de catalogue –, associé un temps aux Nouveaux Fauves allemands. L’expérience du rock a aussi sa place dans son itinéraire, pour des complicités de démarche et d’attitude. Ainsi Oehlen enregistre-t-il, dans les années 1990, avec les très arty Red Krayola, dans une veine post-punk indépendante à la fois très matiériste et conceptuelle autour de Mayo Thomson. Sans rien renier de ces expériences, c’est fort tôt vers la peinture qu’il concentre son énergie, dans une démarche assumée et tranquillement exclusive. Oehlen est défiant, certes, mais pas plus inquiet que nécessaire sur le vocabulaire et les étiquettes appliquées à son travail. Bad painting ? « Le terme est stupide, mais il me va », et de référer aux nasty things (vilaines choses) du dernier Picasso. Interrogé sur sa méthode, il ne rechigne pas à en décrire les principes : plutôt une antiméthode, en somme, faite d’expériences avec les matériaux, d’accidents et de hasard, mais aussi « d’idées idiotes », de gestes repris à d’autres peintres ou de décisions provocatrices et joueuses, comme celle d’épater un ami en visite, en lui montrant « la peinture la plus atroce qu’il ait jamais vue »

Entre signe et figure
Que l’on ne s’attende pas pour autant à une exposition trash. Les énergies concentrées dans les tableaux, tels qu’ils sont accrochés, avec la complicité de l’artiste, par Françoise Cohen, la directrice du Carré d’art, aboutissent à un parcours très maîtrisé. Le parti pris n’est pas chronologique, mais bien plus sensible à des unités ou des complémentarités de cette peinture qui oscille entre abstraction matiériste et finesse chromatique, entre signe et figure. Pour Oehlen, toutes les écritures sont compatibles au sein du tableau. Les peintures au doigt récentes, sur fond blanc, sont d’une maîtrise à la Twombly, avec une gestualité très construite dans une logique de composition non préméditée. Il y a – il la revendique d’ailleurs – une énergie à la De Kooning ici.

Les formats sont grands mais jamais démesurés (190 x 230 cm dans la dernière série par exemple), de manière à laisser au corps son échelle, englobé mais jamais noyé dans l’espace pictural. L’attention à la hauteur d’accrochage, assez basse, contribue à l’accessibilité de l’espace du tableau. La gestualité permet aussi l’apparition d’images, figures humaines, objets, lettres ou mots, toujours pris dans l’écriture elle-même, de manière – assez convaincante – à ne jamais devenir motif narratif, sauf à appartenir au seul récit de la construction du tableau lui-même. 

Monde ironique et sensible
Oehlen dit se méfier de la prégnance de l’image, et il la déjoue efficacement. Il va pourtant la provoquer quand il emprunte par collage direct à l’affiche (de boîte de nuit, de pub), y compris à la plus pauvre. Pauvreté encore avec les « Computer paintings » : c’est la maladresse technologique qui l’arrête ici, avec des sérigraphies qui reprennent la trame grossière de l’impression numérique des années 1980, et le noir et blanc typographique, corrigé par la peinture (elle aussi en noir et blanc) en recouvrement. Oehlen parle de son travail comme relevant de l’editing, du montage. Avec des fragments de réalité matérielle comme avec des images venues du registre d’autres artistes, il use avec force de la faculté de synthèse de la peinture. S’il affirme son refus du symbolisme, de l’expressivité brute et du déballage d’états d’âme, il n’en construit pas moins, sur un mode qui tient de l’improvisation jazzistique, un monde très habité, ironique mais sensible. À recommander fortement, même à ceux qui ne croient plus à l’autonomie du tableau. 

Albert Oehlen

Jusqu’au 9 octobre, Carré d’Art - Musée d’art contemporain, 16, place de la Maison-Carrée. 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, www.nimes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, coéd. Carré d’art et Archibooks, 112 p., 29 €, ISBN 978-2-3573-3150-1

ALBERT OEHLEN

Commissariat : Françoise Cohen, directrice du Carré d’art

Nombre d’œuvres : 36

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Oehlen dans le tableau

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