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Porto

La dynamique Serralves

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 889 mots

PORTO / PORTUGAL

Parti de rien, le Museu Serralves a trouvé sa place dans le paysage international en à peine plus de dix ans.

PORTO - Entre le cœur historique de la ville de Porto, au bord du fleuve Douro, et la façade balnéaire de la capitale du nord du Portugal se trouve la Fondation Serralves. L’institution est née dans un site remarquable, un parc privé à son origine, créé dans les années 1920 et qui occupe aujourd’hui quelque dix-huit hectares. Développé comme un jardin paysager autour d’une villa Art déco construite entre 1925 et 1944 et dont le projet initial porte la marque de Ruhlmann, le parc longtemps inaccessible au public a été acquis en 1986 par l’État, qui y conjectura la création du premier musée national d’art contemporain.

Par le montage d’une fondation faisant appel aux contributeurs privés se précisa alors un projet de musée confié, au début des années 1990, au modernisme inspiré de l’architecte Álvaro Siza. Avec un financement européen à hauteur de 75 %, c’est un bâtiment remarquable et ambitieux qui a vu le jour, inscrit dans le paysage du parc. Il compte plus de 12 000 m2 dont 4 500 m2 d’espace d’exposition, mais aussi divers équipements, dont un auditorium, pour en faire un lieu d’activités diverses et ouvert sur le parc. 

À partir de 1968
Inauguré en 1999, le musée d’art contemporain y occupe une place centrale. Son programme fut mis sur pied par Vicente Todoli avec la complicité de João Fernandes qui en est devenu, après le départ de Todoli pour la Tate Modern en 2003, le directeur. Partie de rien, délibérément contemporaine, attentive à l’histoire récente des artistes portugais mais aussi largement ouverte sur l’international, la collection s’est fixé 1968 comme point d’entrée chronologique, et les formes ouvertes de l’art conceptuel, de la performance, de l’action, du film comme territoires de prédilection en écho aux évolutions sociales et politiques. La position de périphérie relative de Porto et la singularité historique du Portugal ont ainsi permis de tracer une perspective qui rejoint directement des questions posées ailleurs à la compréhension des cinquante dernières années comme aux aspects sensibles de la production d’aujourd’hui, y compris la dimension dite « performative ».

Depuis l’exposition d’ouverture « Circa 1968 », en 1999, jusqu’aux plus récentes, la programmation s’est développée en lien avec les enjeux de la collection. Ainsi en est-il quand le Museu Serralves invite le Whitney Museum of American Art, à New York, et la commissaire Chrissie Iles pour « Off the wall », qui réunit jusqu’au 2 octobre des œuvres liées à l’action, à la performance, au corps, à l’espace et à la production de traces de ces œuvres. Pratiques dont la commissaire américaine a trouvé des résonances, non seulement dans la collection du musée mais aussi chez des artistes portugais comme Helena Almeida, Fernando Calhau ou Alberto Carneiro, présents aux côtés d’une soixantaine d’Américains, d’Acconci à Woodman.

Ainsi en est-il encore avec la réactivation (jusqu’au 23 octobre) de Bodyspacemotionthings de Robert Morris, conçu en 1971 pour la Tate Gallery, à Londres (qui le montrait à nouveau en 2009), ensemble de sculptures-dispositifs destinées à l’implication très physique – presque sportive – du visiteur. Une physicalité par quoi l’engagement de Morris dans les années 1960-1970 vers la chorégraphie, la performance active et l’attention sculpturale portée au mouvement des corps apparaît très à sa place et toujours radicale devant le travail d’artistes de bien plus jeunes générations, et qui interroge toujours énergiquement la place du spectateur dans le musée, à Porto comme ailleurs.

L’ensemble des structures reconstruites sous la conduite de Ryan Roa, artiste, collaborateur de Morris et commissaire ici aux côtés de João Fernandes, est associé à des pièces très choisies de Morris, des films- performances ou des performances de différentes périodes présentés en projection : de Waterman Switch (1965, mais filmé lors d’une nouvelle version en 1993), où un couple de danseurs nus effectue des figures singulières, en passant par Gas Station (1969), où une caméra observe l’activité d’une piste de station-service, jusqu’à Birthday Boy (2005), où deux conférenciers s’expriment en d’amples dérives à partir du David de Michel-Ange. Les généreuses salles du musée donnent toute la place à ce parcours choisi dans l’œuvre de Morris. 

Politique volontariste
Parallèlement, dans le parc, la Villa, qui demeure un espace d’exposition privilégié, donne l’occasion à Leonor Antunes de déployer un ensemble de pièces inscrites dans l’architecture, sous le titre « Casa, modo de usar » (Maison, mode d’emploi) jusqu’au 2 octobre. Reprise par cette artiste lisboète de 36 ans, la notion d’usage est ici aussi rapportée à l’espace, à notre culture de l’habiter et à l’histoire de la modernité. Les interventions, de l’ordre de la sculpture, sont souvent d’une économie minimaliste et presque précieuse : le dialogue avec la puissance de la maison contribue à rendre des plus convaincantes l’ensemble des pièces. Et à affirmer l’esprit qui règne sur la Fondation Serralves, qui se déploie aussi par une politique très volontaire de diffusion régionale et nationale de sa collection. Celle-ci a ainsi su ouvrir, en à peine plus de dix ans, une perspective culturelle nouvelle pour le Portugal et qui compte à l’échelle internationale.

Fondation Serralves

Rua Dom João de Castro, 210, Porto, Portugal, www.serralves.pt, Museo tlj sauf lundi 10-17h, samedi et dimanche jusqu’à 20h (19h à partir d’octobre), Villa tlj sauf lundi 10-17h, samedi et dimanche jusqu’à 19h

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : La dynamique Serralves

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