Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur

Ancien ambassadeur, Bernard de Montferrand a marqué la diplomatie culturelle française par son engagement

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2011 - 1501 mots

De Singapour à Berlin en passant par New Delhi et Tokyo, l’ambassadeur, aujourd’hui président du Frac Aquitaine, a défendu avec opiniâtreté les artistes français à l’étranger. Portrait d’un meneur de troupes.

Bernard de Montferrand n’a rien d’un ambassadeur « Ferrero Rocher ». Quand d’autres se laissent griser par le faste et le décorum, cette personnalité d’apparence « vieille France » ne mise que sur l’efficacité. Bien que diplomate, il reste plus un homme de construction que de consensus. « Il est très volontaire et déterminé, souligne Cédric Aurelle, ancien responsable du Bureau des arts plastiques à Berlin. Il est capable de faire bouger les choses en impulsant des dynamiques, de gagner rapidement la confiance des interlocuteurs, et de donner une image positive de la France à l’étranger. » Alors que pour une majorité d’ambassadeurs la culture n’est que la dernière roue du carrosse, Bernard de Montferrand, lui, en a fait son étendard. « La diplomatie culturelle, c’est le lingot d’or de notre présence à l’étranger, martèle-t-il. Je suis convaincu que, dans l’Europe de demain, si on ne met pas l’accent sur la politique culturelle, on risque des incompréhensions croissantes. Plus on est proches les uns des autres, plus il faut faire d’efforts pour expliquer les différences. Une politique culturelle européenne très volontariste, de dialogue intensif entre les sociétés civiles, est peut-être le seul moyen de rapprocher les citoyens d’une Europe dont ils s’éloignent. »

Des bureaux « radars »
Né dans une famille traditionnelle du Périgord liée au service public, Bernard de Montferrand a hérité de son père militaire et de son grand-père inspecteur des Finances le sens de l’intérêt général. Après la voie royale Sciences Po-ENA (École nationale d’administration), il choisit d’emblée la diplomatie. Secrétaire des affaires étrangères à la direction des affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, il devient conseiller pour les affaires économiques et financières au Gouvernement militaire français de Berlin en 1979. Après avoir été directeur de cabinet du ministre de la Coopération, il est nommé ambassadeur à Singapour de 1989 à 1993. Il fera alors appel au commissaire Daniel Abadie pour y organiser une exposition du sculpteur César. Montferrand revient ensuite à Paris comme conseiller diplomatique d’Édouard Balladur, avant de migrer pour des postes d’ambassadeur aux Pays-Bas, en Inde, au Japon et enfin en Allemagne.

À New Delhi, il demande à la conservatrice Marie-Laure Bernadac d’organiser une exposition sur Picasso, crée une collection de livres français chez un éditeur indien, et installe un programme de résidences croisées d’artistes. « Montferrand est un vrai homme de culture, et un analyste très lucide du paysage politique et social, souligne Jérôme Neutres, alors attaché culturel en Inde. Il savait très bien ce qu’il voulait et avait clairement en tête que les Indiens ne s’intéresseraient à la culture française seulement si celle-ci s’intéressait à eux. »

À Berlin, il a conservé cet esprit bilatéral avec le programme d’échanges de galeries « Berlin-Paris «, lancé en 2009. Dès la première édition, il parvient à faire oublier les événements ronflants et inefficients dont la France a le secret. Alors que le ministère des Affaires étrangères s’était emmêlé les pinceaux en 2006 dans une opération intitulée « Art France Berlin », Montferrand parvient à tisser des liens solides avec les acteurs privés allemands, en écoutant leurs points de vue et souhaits sans s’autoriser un quelconque interventionnisme sur leur choix. Moteur dans la réforme du réseau français, il a défendu les droits de son personnel culturel en Allemagne, alors que d’autres réseaux ont été décimés. Ce sans doute grâce à son souci d’économie poussé à l’extrême, conduisant à une chute brutale de la température dans les locaux de l’ambassade à Berlin… Surtout, il mutualisera les services communs de gestion, mettra en place un back-office et améliorera les procédures pour alléger la bureaucratie et faire travailler ensemble les différents services. Comment voit-il l’avenir de la diplomatie culturelle à l’aune de la réforme ? « Il est essentiel de conserver un maillage sur le terrain, des bureaux spécialisés qui sont comme des radars. Aujourd’hui, on ne peut faire d’opération qu’en connaissant bien les partenaires. Il faut se placer dans des endroits où il y a moins d’automatisme, où il faut anticiper, et la meilleure chose est de créer et animer des réseaux sur le terrain, explique-t-il. Je suis fatigué du chœur des pleureuses qui explique qu’on n’est pas visible à l’étranger. En dix-sept ans à l’étranger, j’ai pu constater que la France existe vraiment et fortement. »
C’est probablement à Berlin que l’intérêt de Montferrand pour l’art contemporain se cristallise, même si, lors de chacune de ses missions, il a acheté quelques œuvres, notamment de Ravinder Reddy et Nalini Malani en Inde. « L’art contemporain est une machine à se poser des questions. Beaucoup d’œuvres vous obligent à vous remettre en cause, indique-t-il. On dit toujours que l’art ancien est plus accessible, mais c’est bourré de symboles et on n’en perçoit même pas 20 %. Or aujourd’hui les gens râlent car une œuvre contemporaine nécessite des explications ! » C’est dans cette quête de sens qu’il a toujours rencontré des créateurs capables de lui donner un angle de vue original sur les pays où il était en poste. Ainsi aux Pays-Bas, où certains plasticiens comme Jan Dibbets lui ont permis de relativiser le modèle néerlandais et le prétendu équilibre social parfait. « Il est fasciné par les artistes. Il s’enthousiasme pour des gens qui travaillent «pour rien », remarque Cédric Aurelle. Il attache de l’importance à l’art contemporain d’hier, aux artistes qui n’ont pas émergé, qui sont passés à côté de la reconnaissance qu’ils méritaient. « Son intérêt pour l’art le plus actuel se renforce en 2007 lorsqu’il prend la présidence du Fonds régional d’art contemporain (Frac) Aquitaine, à un moment où il était urgent de remettre l’institution sur les rails. » Au début, il était surpris par la radicalité de notre choix, mais il a peu à peu mieux compris le travail de prospection de talents, rappelle Claire Jacquet, directrice du Frac. C’est un président très concerné, investi, présent. Il a tendance à s’intéresser à tous les champs d’action du Frac. Avec les politiques, il met de l’huile dans les rouages. C’est autant un homme de pensée que d’action. « Sa faconde diplomatique lui permet de s’adresser aussi bien aux élus de droite formant la majorité municipale qu’aux politiques de gauche siégeant à la Région. Mais d’après de nombreux observateurs, il y a en lui de l’« hyper président «, du « control freak ». « Dire qu’il est exigeant est une litote. Il faut savoir s’affirmer face à lui », admet un collaborateur. Certains le jugent vif, dur et injuste. « Je ne l’ai pas vu injuste, mais sévère, défend Jérôme Neutres. C’est un diplomate qui croyait dans son métier et était par conséquent très exigeant avec ses collaborateurs. C’est un mousquetaire qui n’hésite pas à prendre des risques et à bénir les conseillers qui en prennent. Il apprécie moins les pantouflards. « Il applique la même rigueur avec sa famille. « Quand je commence quelque chose, il me tanne pour que je le termine, relate son fils Hadrien de Montferrand, galeriste à Pékin. Quand je lui ai présenté mon projet de galerie, il a été très terre-à-terre, en me demandant comment ce serait viable économiquement. Il n’a jamais voulu me pistonner à tout-va. Je n’accédais à ses contacts seulement si je le méritais. Il fallait que je prouve que j’allais m’investir à fond. » 

« Définir une stratégie »
On l’aura compris, Bernard de Montferrand n’est pas homme à se tourner les pouces depuis sa retraite, prise à la fin janvier. « Il serait dommage de mettre si tôt à la retraite des personnages comme lui dont l’expérience est indiscutable. C’est indispensable de continuer à donner des responsabilités à ce genre de personnes », affirme la galeriste parisienne Nathalie Obadia. Précisément, il préside depuis un an Platform, l’association des Fonds régionaux d’art contemporain, et prépare les festivités commémorant en 2012 les 30 ans de ces institutions. En quoi son passé de diplomate peut-il servir ce réseau ? « Je peux les aider à définir une stratégie, à être un catalyseur pour mieux les faire connaître, les promouvoir à l’étranger », estime-t-il. Et d’ajouter : « Pour agir en faveur de la création française, il faut concentrer nos efforts non plus seulement sur le public, mais sur tous les acteurs. Il ne peut s’agir que d’une politique de partenariat public-privé. Il faut donc agir en réseau et sur le long terme. Et ne pas se tromper de cible. Communiquer en France, c’est bien. Communiquer à l’étranger, c’est mieux ! »   

Bernard de Montferrand en dates

1945 Naissance à Bordeaux.

1979 Conseiller pour les affaires administratives, économiques et financières au Gouvernement militaire français de Berlin.

1989-1993 Ambassadeur de France à Singapour.

1995-2000 Ambassadeur de France à La Haye.

2000-2002 Ambassadeur de France à New Delhi.

2002-2006 Ambassadeur de France à Tokyo.

2007 Président du Frac Aquitaine.

2007-2011 Ambassadeur de France à Berlin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°350 du 24 juin 2011, avec le titre suivant : Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur

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