Londres

Schiele acide

La sensualité crépusculaire du peintre s’exhibe chez Richard Nagy

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2011 - 455 mots

LONDRES - Après avoir organisé en 1997 une exposition sur les femmes vues par Gustav Klimt, le marchand londonien Richard Nagy a inauguré son nouvel espace en s’attaquant à la féminité version Egon Schiele.

Une quarantaine de dessins datés de 1910 à 1918 éclairent les différentes étapes de l’artiste autrichien fauché à l’âge de 28 ans par la grippe espagnole. La période la plus féconde, de 1910 à 1912, égrène son répertoire de formes tendues, noueuses et aux poses outrées. Le trait est expressif, tout en saillies et en brisures. Cette œuvre dramatique, puisant dans les pathologies personnelles de l’artiste, abolit le contraste entre le beau et le laid, penche vers une sensualité crépusculaire. Chez Schiele, les couleurs acides renforcent le sentiment funèbre d’une chair en décomposition, comme dans un nu osseux jaune de 1910. Schiele n’a pas oublié la déchéance de son père, terrassé par la syphilis. S’il aborde le monde de la prostitution, des modèles exposant leur sexe sans retenue, c’est pour mieux provoquer et conjurer la mort. Une « maternité » de 1910, ayant autrefois appartenu à la Neue Galerie de New York, est l’une des œuvres les plus marquantes de l’exposition. Loin des figures maternelles épanouies ou sacrificielles, cette jeune femme tourne le dos à l’enfant non désiré qui se cramponne à elle. 

Si Schiele aime les sujets dérangeants, il savoure tout autant le malaise né de cadrages étranges et d’asymétries volontaires. Ainsi un dessin de 1913 montre une femme censée se tenir debout, un genou à terre, la tête coupée en hors champ. On ne peut qu’être désarçonné devant un centre de gravité aussi incongru. Si la feuille est présentée à verticale, l’inconfort de la posture laisse penser que le motif a été dessiné à l’horizontale. Cette parenthèse expressive se délite peu à peu à partir de 1915. Le dessin se ramollit, s’appauvrit, vire au naturalisme. Fraîchement marié à Edith Harms, Schiele décide de devenir respectable et respecté. Un dessin de 1917 présente certes une femme jambes écartées. Mais habillée, elle n’a plus rien d’impudique. La couleur a presque disparu, comme si l’artiste délaissait la chair pour tendre vers l’épure.

Quatre autoportraits de l’artiste s’intercalent dans cet accrochage féminin. Dans un spécimen de 1911, l’artiste, jambes ouvertes, exhibe son pénis rougi en érection. Un double portrait, dans lequel on devine l’influence de Ferdinand Messerschmitt, vient souligner son arrogance mais aussi sa névrose. Quelques années plus tard, le provocateur scandaleux, qui fut condamné pour pornographie, s’est mué en bourgeois assagi. Décédé brutalement en 1918, il n’aura guère le temps de cultiver cet embourgeoisement.

EGON SCHIELE. WOMEN
Jusqu’au 30 juin, galerie Richard Nagy, 22 Old Bond Street, Londres, tél. 44 20 7262 6400, du mardi au samedi de 12h à 17h, www.richardnagy.com

Magnelli

Nombre d’œuvres exposées : environ 40

Prix : entre 150 000 et 5 millions de livres sterling (170 000 à 5,6 millions d’euros)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Schiele acide

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