Calais

Un art qui percute

Le Musée de Calais propose « L’art est un sport de combat », ou quand l’atelier devient ring

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2011 - 734 mots

CALAIS - Avec « L’art est un sport de combat », présentée au Musée des beaux-arts de Calais, le critique et commissaire Jean-Marc Huitorel poursuit un intérêt de longue date autour de ce qui est bien plus qu’une démarche thématique, une manière, note-t-il, de « métaphore programmatique » de l’art et de son ancrage. Que l’on ne s’attende donc pas, ici pas plus qu’au gré des expositions (et publications) que Huitorel a déjà pu proposer telles « La Beauté du geste » au centre d’art de Vassivière (2000) ou « Sportivement vôtre » à Chamarande (2004), à une simple illustration d’un thème, mais à la construction patiente d’un paysage de l’art.  Le sport nourrit en effet des pratiques artistiques très diverses, en termes de génération, de médium ou d’origine, au même titre que la sociologie voire la philosophie y trouvent matière à réflexion sur la condition contemporaine. À Calais, le parcours se concentre sur la figure du combat de boxe, au travers d’œuvres qui lui empruntent ses accessoires, sa dynamique, sa violence apparente, ses imaginaires.  Le ton de l’exposition est donné dès la salle d’entrée, avec un face-à-face décisif entre un Penseur de Rodin (plâtre, vers 1925) et une sculpture de Satch Hoyt, Wushu Warrior in Buddha Pose (2007), constituée exclusivement de gants de boxe. Les deux œuvres opposent des corps puissants (Barbara Forest, conservatrice du musée, rappelle volontiers que les corps de Rodin sont souvent athlétiques) et une intériorité toute mentale, qui ancre l’activité sportive du côté de la représentation symbolique. Le David d’Alain Séchas, frêle chat en maillot, vainqueur d’un combat mythique, contribue à l’esprit du projet, comme le ton de parodie faussement naïve des sculptures animalières de Jean-Yves Brélivet. 

« Cadre dramaturgique » 
À l’étage, les pièces de l’exposition se frottent aux collections ,voire s’y perdent un peu. Un livret consistant, mis à la disposition du visiteur, lui permet cependant de se retrouver, alors que, disséminés, les quinze poufs de Roderick Buchanan (Deadweight, 2000) offrent des stations de repos au visiteur. Surtout, les corps abandonnés des poufs, outre qu’ils reprennent le poids des quinze champions auxquels ils sont dédiés, évoquent texte à l’appui les grands combats perdus de l’histoire de la boxe. Car loin de la seule logique de la victoire, c’est plus la tension, souvent métaphorique, du combat qui apparaît en creux. Ainsi de ces pièces qui mettent en scène des femmes boxeuses, pour l’une luttant contre elle-même (Vib eke Tandberg), les autres manifestant la domination masculine et les représentations de la différence des genres (Salla Tykkä, Zuzanna Janin, et, au travers d’un personnage de film, Donatella Bernardi). On notera par ailleurs que la publication associée à l’exposition voit la sociologue Christine Mennesson analyser de quelle façon « la boxe offre un cadre dramaturgique propre à susciter l’intérêt d’artistes interrogeant la dimension conflictuelle de l’existence humaine ».  Les instruments du boxeur ont leur place : ainsi des sacs de frappe de Monica De Miranda, ironiquement féminisés de paillettes et de broderies, ou de celui, rigidifié, d’Aurélie Godard, se révèlant de bois. Fabrice Gygi joue aussi avec les attributs du sportif. Et quand Nicolas Chardon, par un geste adroitement destructeur, brise le panneau peint ou que Steven Parrino semble arracher la toile de son châssis, c’est l’atelier qui devient ring et le travail de l’artiste un combat. Esthétisée mais sûrement pas sublimée, la violence affleure dans la vidéo de Stephen Dean, faisant de la palette de couleurs un absurde « demolition derby » américain où des automobiles s’affrontent jusqu’à leur ruine. Ou encore dans les typographies faites de marques de paint-ball de Jocelyn Cottencin. Le troublant film de Jean-Charles Hue sur les combats de chiens et leurs éleveurs, ou les photographies de catcheurs mexicains d’Yves Trémorin, extraites d’un ensemble, La Derivada Mexicana, exposé à Brest et bientôt au Musée de Rennes, élargissent le territoire géographique du sport, confirmant la dimension anthropologique du sport, de l’art, et du sport dans l’art. 

L’ART EST UN SPORT DE COMBAT

Jusqu’au 18 septembre, Musée des beaux-arts, 25, rue Richelieu, 62100 Calais, tlj sauf lundi et jf, du mardi au samedi 10h-12h et 14h-18h, dimanche 14h-18h, tél. 03 21 46 48 40, www.musee.calais.fr

Catalogue, coédition Analogues, Arles/Musée de Calais, 128 p., 24 €, ISBN 978-2-35864-025-1. Lire aussi Jean-Marc Huitorel, La beauté du geste, 2005, Éditions du Regard, 250 p., 19 €, ISBN 2-84105-189-7.

Parallèlement, à Calais : Mohamed Bourouissa, jusqu’au 8 juin, École d’art du Calaisis, www.agglo-calaisis.fr 

L’ART EST UN SPORT…

Commissaire : Jean-Marc Huitorel

Nombre d’artistes : 24 dont 7 dans la programmation vidéo

Nombre d’œuvres : 29 sculptures et installations, 13 photographies, 13 vidéos

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Un art qui percute

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