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La ligne claire de Tosani

Trois lieux et une publication mettent en lumière le travail du photographe Patrick Tosani

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2011 - 657 mots

PARIS - Coup sur coup, trois expositions et une publication majeure viennent remettre sur le devant de la scène Patrick Tosani, un artiste né en 1954 qui, en une trentaine d’années de carrière (sa première exposition personnelle date de 1982), s’est imposé comme une figure de référence de la photographie.

Une autorité fondée non tant sur sa personnalité (l’homme est discret, sa parole est posée) mais sur une rigueur de démarche, une exigence qui traverse des périodes ou des séquences de travail pourtant très différenciées – mais d’une grande cohérence, bien au-delà de son aspect thématique, au renouvellement remarquable. Le Centre photographique d’Île-de-France (CPIF), à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), en offre une lecture avec des travaux récents de Tosani, où s’affirment une nouvelle fois cette logique de l’évidence, cette économie directe d’une image dénotative qui ne cache rien et met à plat dans un espace le plus souvent autre que celui, abstrait, du studio. Ce qui fut désigné par cette formule de « l’autre objectivité » proposée par Jean-François Chevrier dans les années 1980.

Aux objets ou aux parties de corps s’ajoutent désormais une série de sujets qui permettent d’opérer diverses synthèses par l’image. Ce sont des maquettes d’architecture, de bâtiments ordinaires, qui contiennent un paradoxe que les œuvres exposées poussent encore : celui du jeu sur l’échelle, puisque la maquette ramène et abstrait la dimension réelle de l’architecture à l’échelle de la main, alors que les tirages les « remonumentalisent ». Tirant parti de la longue salle du CPIF, Tosani, par de très grands tirages sur papier collés au mur à côté de formats plus restreints, met en déroute la mesure du corps. D’autant qu’une autre échelle s’impose, tactile, celle de tracés de peinture qui recouvrent, geste sauvage, qui engluent la raideur des maquettes dans une matière tour à tour coulante, luisante : de la matière-peinture, non de la peinture comme genre, rappelle l’artiste. 

Appétit imaginaire 
La trace du pinceau amplifiée par la saisie et l’agrandissement photographiques achève de mettre le spectateur devant un paradoxe, celui même de la représentation dans sa capacité à ramener vers l’abstraction la matérialité la plus triviale. Ainsi ces images immédiatement accessibles à la compréhension, relevant d’un régime de parfaite évidence en jouant de manière irrésoluble de la nature de l’image photographique, entre indice, index et empreinte. Il y a là toute l’intelligence de l’artiste, dans sa clairvoyance formelle, ce qui le rapproche du formalisme conceptuel le plus rigoureux, qui est une dimension originaire de sa démarche. Mais, dans le même temps, la puissante intuition formaliste qu’il nous fait partager s’adresse directement à la sensation physique, comme Visage 1 et maquette (2006) où un modèle pose en tenant contre ses joues deux bâtiments. C’est dans cette équation entre maîtrise du dispositif photographique et immédiateté sensible, cette tension finement entretenue que l’on reconnaît le travail de Tosani, capable d’une réflexivité propre à combler le sémiologue pointilleux tout en satisfaisant à l’appétit imaginaire. La série des Alignements (2006), où une photo d’un marché du Caire, image au second degré, s’inscrit par projection sur la façade d’une maquette d’architecture, manifeste aussi ce qui demeure irrésoluble entre attraction et répulsion de l’univers urbain, dans l’habiter.

On verra alors à Paris, à la Maison européenne de la photographie dans son principe rétrospectif, à la galerie In Situ avec des ensembles plus récents, et surtout avec la belle monographie publiée chez Flammarion (1), les souterraines continuités de l’œuvre. Le livre met en relation des séries de 1983 : les architectures de papier prises dans les glaces et les œuvres de 2010 vues au CPIF, par exemple. Aux chapitres qu’accompagne le texte de Gilles Tiberghien s’articule un entretien entre Michel Poivert et l’artiste, intitulé L’Amplification du monde, qui ramène justement à l’essentiel, quand il dit questionner « cette apparence des choses pour en chercher la corporéité et la présence ».

Notes

(1) Gilles A. Tiberghien et Michel Poivert, Patrick Tosani. Les corpsphotographiques, éd. Flammarion, 2011, 288 p., 49 euros, ISBN 978-2-0812-5552-4

CPIF
Commissariat : Nathalie Giraudeau et l’artiste

Nombre d’œuvres : 26


MEP
Commissariat : Maison européenne de la photographie (MEP) et l’artiste

Nombre d’œuvres : environ 200


IN SITU
Nombre d’œuvres : 12

Patrick Tosani, assemblages, jusqu’au 19 juin, Centre Photographique d’Île-de-France, 107, avenue de la République, 77340 Pontault-Combault, tél. 01 70 05 49 80, www.cpif.net, tlj sauf lundi et mardi 10h-18h, samedi et dimanche 14h-18h
 
Patrick Tosani, Œuvres, 1980-2011, jusqu’au 19 juin, Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 30, www.mep-fr.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-20h
 
Patrick Tosani, du 5 mai au 4 juin, galerie In Situ - Fabienne Leclerc, 6, rue du Pont-de-Lodi, 75006 Paris, tél. 01 53 79 06 12, www.insituparis.fr, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°346 du 29 avril 2011, avec le titre suivant : La ligne claire de Tosani

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