Californie

Un minimalisme spirituel

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2011 - 627 mots

Le Castello di Rivoli revisite l’œuvre bipolaire de John McCracken, entre préoccupations esthétiques et dimension cosmique.

RIVOLI/TURIN - D’un côté une série de huit fins madriers carrés posés au sol, parfaitement découpés, lisses et léchés, développant un rythme chromatique dans une gamme restreinte oscillant dans des teintes bleutées, mauves, orangées (Cosmos, 2008). Leur font face deux tableaux carrés de petit format tels des mandalas flamboyants, aux couleurs similaires (Ophirin ; Abritaine, 1972). Un rigorisme formaliste d’une part, une exubérance spirituelle de l’autre : voilà résumée, dans ce face-à-face provoqué à mi-parcours de l’exposition rétrospective que lui consacre le Castello di Rivoli, près de Turin, la dualité constitutive de l’art de John McCracken.

En cinquante-cinq œuvres installées avec finesse et précision, cet accrochage démontre qu’au-delà des apparences purement formelles, qui avaient enfermé l’artiste dans le cliché d’une version cool du minimalisme – car « made in Los Angeles » –, cette pratique se montre rétive à la classification et surtout bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Certes le travail de McCracken se compose depuis 1965 pour l’essentiel de volumes géométriques à la surface rutilante, évoquant le lustre d’une carrosserie ou l’aspect d’une planche de surf, particulièrement dans ses planches dressées contre le mur. Mais il s’affranchit au passage de quelques dogmes minimalistes dont il prend l’exact contre-pied, dès lors qu’il cache les matériaux constitutifs de ses sculptures derrière la couleur, qu’il leur donne des titres, parfois très évocateurs qui plus est, ou qu’il fait usage du socle… « Pour McCracken, le minimalisme n’était pas une patrie à défendre mais une région à traverser et corrompre », ainsi que le résume parfaitement Andrea Bellini, le commissaire de l’exposition. Ce faisant, l’œuvre de l’artiste californien se joue dans une dichotomie entre matérialisation et dématérialisation sur laquelle il insiste lorsqu’il énonce : « La couleur est le principal matériau dont je me sers. » 

Vers un ailleurs
La couleur pure ainsi déployée en trois dimensions, grâce à des planches, des cubes ou des parallélépipèdes de dimensions variables, relève dès lors plus de l’expérience de la peinture dans l’espace que de l’intention sculpturale. Surtout, sa primauté et la dématérialisation qui lui est liée dans l’esprit de l’artiste a pour corollaire l’œuvre d’art pensée tel un complexe énergétique (une rare planche multicolore est à cet égard remarquable de dynamisme : Untitled, 1974), une voie de passage et de découverte de l’univers.

L’accrochage restitue fort bien ces préoccupations. Il s’ouvre et se clôt avec de hauts volumes triangulaires aux surfaces miroirs (Wonder ; Fair, 2010) agissant tels des points de concentration et de diffusion des énergies. L’intérêt pour les formes de l’architecture ancienne, à l’image des pyramides, le confirme. De même que cette arche bleue invitant au franchissement ; dans sa perspective, un tableau noir et blanc constitue une véritable peinture de l’univers. Plus loin, des volumes biseautés au mur insistent sur l’idée de véhicule grâce à un aspect aérodynamique encore renforcé par leurs titres (On Stream ; On High ; On the Go…, 1998).

Loin du rationalisme formel auquel on l’a trop souvent rattaché, l’artiste affirme avoir vu des ovnis, expérimenté le détachement corporel et eu l’opportunité de pratiquer des déplacements spatio-temporels. Remarquablement logique, la problématique d’une exploration d’un espace mental immatériel est évoquée dans les tableaux abstraits de ses débuts (1962-1964) qui tentent une synthèse de signes en provenance d’un univers urbain. Là, et plus encore dans ses travaux ultérieurs, l’artiste aborde, à l’instar des expressionnistes abstraits – Barnett Newman notamment, qu’il a beaucoup observé –, l’abstraction comme une porte vers la transcendance, vers un ailleurs indéfini. La grande réussite de McCracken est d’être parvenu à élaborer une forme synthétique à la fois matérielle, spirituelle et cosmique.

JOHN McCRACKEN

Commissaire : Andrea Bellini, codirecteur du Castello di Rivoli

Nombre d’œuvres : 55

JOHN McCRACKEN

Jusqu’au 19 juin, Castello di Rivoli, Piazza Mafalda di Savoia, Rivoli/Turin, Italie, tél. 39 011 9565220, www.castellodirivoli.org, tlj sauf lundi 10h-17h, samedi-dimanche 10h-19h. Catalogue éd. Skira, 264 p., ISBN 978-88-572-0776-6, 49 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : Un minimalisme spirituel

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