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Duo gagnant

Les galeries invitent régulièrement des curateurs à concevoir des expositions. Témoignages

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2011 - 825 mots

PARIS - La collaboration régulière entre galeristes et commissaires d’exposition est symptomatique des changements de mentalité dans les sphères commerciales et institutionnelles.

Depuis une quinzaine d’années, la galerie londonienne Lisson confie ses manifestations d’été à des curateurs invités.L’exposition « Rudolf Stingel », jusqu’au 16 avril chez Gagosian, à New York, est orchestrée par le curateur Francesco Bonami. Ces « cartes blanches » permettent parfois aux galeries de faire un point sur leur propre programmation, et, dans certains cas, de faire évoluer leur image. Le Parisien Jean-Gabriel Mitterrand fait appel, depuis trois ans, au curateur Ami Barak pour rajeunir son image classique. Celui-ci a ainsi orchestré les revivals d’Ion Grigorescu, d’Edi Hila et de Fred Wilson. « Le monde est complexe, il est devenu difficile de tout connaître. Pour cela, nous avons besoin d’être confortés par des conseils extérieurs », estime Jean-Gabriel Mitterrand.

De son côté, l’historien de l’art Paul Ardenne a entamé, depuis 2008, une collaboration avec la galerie genevoise Analix Forever. Après l’exposition « Working Men », ils ont organisé ensemble un colloque de trois jours sur l’architecture émotionnelle. Récemment, le curateur a orchestré le stand de la galerie sur la foire Art Paris. « Souvent, les galeries qui font appel à des commissaires les laissent tout faire. Moi, j’aime travailler avec Paul. Il doit composer avec mes artistes, et je dois faire de même. Ainsi, dans l’exposition « Working Men », y avait-il un tiers d’artistes de la galerie, un tiers choisi ensemble et un tiers que je ne connaissais pas », explique Barbara Polla, directrice d’Analix Forever. « Sans la proposition de Barbara Polla, je n’aurais pas relancé ma recherche sur les réalités revisitées, indique pour sa part Paul Ardenne. Ce travail avec une galerie fait partie d’un panel de possibilités que la recherche en histoire de l’art peut me donner. » 

Trouver le bon équilibre
Les galeries doivent toutefois prendre garde à ne pas se laisser submerger par les commissaires. La programmation d’Analix Forever n’a fondamentalement pas changé depuis sa rencontre avec Paul Ardenne. « Les apports extérieurs doivent venir en accompagnement et en complément, pas en substitution au choix du galeriste », insiste Jean-Gabriel Mitterrand. Un écueil auquel n’a pas échappé la galerie parisienne LH, rebaptisée LHK, et depuis fermée. Celle-ci avait misé pendant deux ans, entre 2007 et 2009, sur une programmation entièrement confiée à des commissaires extérieurs. « Lorsque nous nous sommes lancés, nous n’avions pas d’expérience, pas de réseau d’artistes. Pour gagner du temps, nous avions fait appel à des personnes qui ont un regard, ce qui nous a permis de constituer rapidement une équipe d’artistes, d’avoir un appui critique et une légitimité auprès des collectionneurs. Pour nous, c’était un accélérateur », déclare Michaël Huard, ancien codirecteur de la galerie. Revers de la médaille, la personnalité de la galerie s’en est trouvée brouillée. « Cette politique nous a posé problème pour entrer à la FIAC à Paris, ou à Liste à Bâle, admet Huard. On nous disait qu’on ne voyait pas notre identité. » Car le recours systématique à des commissaires transforme la galerie en coquille vide. Ainsi le galeriste Michel Rein n’a-t-il fait appel que très ponctuellement aux services d’Ami Barak, avec une première exposition dédiée à la jeune scène new-yorkaise, dont un second volet est en préparation.

Il arrive parfois que le curateur franchisse le Rubicon et ouvre lui-même une galerie. Codirecteur de l’enseigne parisienne Triple V, Vincent Pécoil avait organisé par le passé des expositions chez Francesca Pia à Berne, ou chez Praz-Delavallade et Frank Elbaz à Paris. « Fondamentalement, organiser une exposition en galerie ne change pas grand-chose, les contraintes sont légèrement différentes, il faut se soucier de trouver des œuvres à vendre, observe Vincent Pécoil. On peut faire une belle exposition aussi bien en galerie qu’ailleurs. » « Tous les curateurs aiment travailler avec et sur un format, que ce soit celui de la foire, de la galerie ou du communiqué de presse, ajoute Jean-Max Colard, qui a organisé, en 2007, l’exposition « Œuvres encombrantes » chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois, à Paris. Exposer dans des galeries m’a permis de pratiquer une activité de commissariat. Je ne suis pas sur la liste constituée de ceux auxquels on pense d’emblée pour organiser des expositions. Le nombre de curateurs est tellement important et l’offre institutionnelle si peu grande… »

Les contingences économiques expliquent aussi le passage des curateurs en galerie. « Les choses sont beaucoup plus simples et réactives que dans un cadre institutionnel, souligne Ami Barak. En galerie, quand un projet est lancé et les choses balisées, cela coule de source. » Néanmoins, ce partenariat entre curateur et galeriste ne s’est pas encore généralisé en France, souvent pour des questions financières, bien que la rémunération habituelle du curateur se situe autour de 3 000 euros. Dans certains cas exceptionnels, les galeristes lui reversent également un intéressement sur les ventes. La présence d’un commissaire a toutefois moins d’impact auprès des collectionneurs qu’auprès des institutionnels.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Duo gagnant

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