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Rapport

Les musées nationaux dans le collimateur de la Cour des comptes

La gestion des grands musées nationaux est tancée par la Cour des comptes, qui prône un changement de cap

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2011 - 1054 mots

Un rapport très fouillé de la Cour des comptes passe au crible dix ans de gestion des musées nationaux. La juridiction financière conteste notamment les orientations prises par les grands établissements publics comme Versailles, le Louvre ou Orsay, ainsi que le laxisme stratégique du ministère de la Culture. Au détriment des comptes publics et de la conquête de visiteurs jeunes ou défavorisés.

PARIS - Si les magistrats de la Cour des comptes n’ont pas l’habitude de tremper leur plume dans le vitriol, les conclusions du rapport que sa 3e chambre vient de publier sur les musées nationaux sont pourtant cinglantes. En près de 200 pages, elles constituent le premier bilan chiffré de dix années de gestion des 37 musées nationaux, période marquée par l’accession à l’autonomie des plus grands d’entre eux.

Celui-ci est tellement édifiant que la phase contradictoire – précédant toute publication de ce type – a été très tendue, le prérapport ayant provoqué la fureur de chefs d’établissement dont la politique y est contestée. Si la Cour distribue quelques satisfecit, concernant notamment la gestion scientifique des collections, la teneur globale du rapport est accablante. De 2001 à 2010, la politique des musées serait devenue « plus coûteuse, plus concentrée sur la région capitale et plus éloignée de plusieurs de ses objectifs qu’elle ne l’était il y a dix ans ». Chiffres à l’appui, le rapport balaie la vieille antienne d’une diminution des ressources des grands musées. En dix ans, « les dépenses directes et les dépenses fiscales de l’État au bénéfice des musées nationaux ont augmenté deux fois plus vite que celle du ministère de la Culture et trois fois plus vite que celles du budget de l’État ». Soit une hausse en fonctionnement de 58 %. Or, en prenant en compte la dépense fiscale – c’est-à-dire le mécénat (lire l’encadré) –, cette hausse serait comprise entre 70 et 90 % ! « Peu de secteurs, peu de services publics peuvent se prévaloir d’un tel effort », notent les rapporteurs.

Contrairement à nombre de rapports simplistes sur la valorisation du patrimoine, la Cour ne s’est pas contentée d’aligner des chiffres pour dénoncer le coût des musées. Plus subtil, son raisonnement est aussi implacable dès lors qu’il est mis en perspective avec les objectifs assignés aux institutions par les textes réglementaires, comme la démocratisation et l’élargissement des publics. Or, si la décennie a été celle d’une forte croissance de la fréquentation, le rapport déplore qu’elle n’ait été accompagnée ni d’un rajeunissement ni d’une ouverture sociale plus grande des publics. De 1989 à 2008, le taux d’ouvriers a chuté de 23 % à 15 %. Et ce sont les touristes, retraités et inactifs, en majorité parisiens, qui se sont précipités au musée. 

Absence de pilotage
Comment en est-on arrivé là ? La Cour pointe l’absence de pilotage stratégique de la part du ministère de la Culture alors que cette période a été marquée par la transformation de tous les grands musées en établissements publics autonomes. Sans que le mot ne soit cité, le phénomène de féodalisation du paysage muséal y est décrit par le menu, « les dirigeants des grands musées étant parvenus à s’extraire de l’encadrement des administrations ministérielles tout en continuant à dépendre des dotations de l’État ». Or, en l’absence de contractualisation, cette autonomie ne s’est pas accompagnée d’une recherche d’efficience, perpétuant une logique de dépenses, en multipliant, par exemple, les expositions temporaires, éditions ou activités culturelles non-muséales. Pour la Cour, cette politique de l’offre – jamais autofinancée – est contestable. Elle recommande de « réorienter cette offre au profit d’actions vers les publics prioritaires ».

Face à l’indépendance de fait des grands musées, provoquant un « perpétuel embarras du ministère de la Culture », il a donc été impossible de construire une véritable politique muséale nationale. Deux exemples sont significatifs : la coopération avec la Réunion des musées nationaux, qui a fait l’objet de précédents rapports (lire les JdA no 300, 3 avril 2009, et no 301, 17 avril 2009) et la question de la politique tarifaire. Alors que loi « musées » de 2002 prévoit que le droit d’entrée doit « favoriser un accès au public le plus large », les musées ont augmenté leurs tarifs librement. Les rapporteurs notent que la dernière trace écrite d’une intervention du ministère sur ces questions remonte à… 2000. « Ce sont les tarifs qui ont le plus souvent servi de variable d’ajustement et non les dépenses », déplore le rapport. Et de poursuivre : « Nul ne peut se hasarder à dire qu’il n’existe aucun lien […] entre cette progression des tarifs et le repli de la fréquentation des musées par les Français issus des catégories socioprofessionnelles les plus modestes. » Par ailleurs, la mesure de gratuité pour les jeunes, instaurée en 2009, a tourné à la farce. Ses résultats « imperceptibles » ont permis aux musées de récupérer une lucrative compensation financière versée par le ministère et largement surestimée.

Si la Cour ne remet pas en cause une autonomie pour laquelle elle avait plaidé dans un rapport de 1997, elle déplore le manque d’objectifs d’efficience et appelle à faire mieux à moindre coût. Quitte à provoquer l’ire des syndicats, les magistrats militent pour des gains de productivité. Car cette politique « n’est plus soutenable pour l’avenir, étant donné l’état des finances publiques ». Or, les grands chantiers dans les tuyaux, dont la « pertinence économique et budgétaire devrait être démontrée », représenteraient un milliard d’euros d’engagements pour les années à venir, soit le double de la décennie étudiée. D’où, face à ce vertige, ce vigoureux appel à la sagesse. 

Quelques vérités sur le mécénat

Le concert de louanges a souvent été unanime. Mais la Cour des comptes vient éclairer d’un jour nouveau le mécénat culturel. La Cour rappelle que le mécénat est une dépense fiscale, qui peut atteindre 90 % de déductibilité de la somme versée lorsqu’il s’agit d’acquérir un trésor national, sans compter les contreparties, jugées comme une « altération de la nature originelle du mécénat ». « C’est en réalité l’État qui finance ces acquisitions mécénées dont il ne supporte pas le coût en trésorerie », note le rapport. Plusieurs points font également l’objet de réserves : l’absence d’évaluation de coût global et le manque d’encadrement du dispositif, les attestations fiscales étant délivrées directement par les musées, sans contrôle.

Une gratuité qui rapporte gros aux musées

Les grands musées n’en voulaient pas. Et pourtant, la mesure leur a été tellement profitable qu'ils souhaitent désormais la voir pérennisée... Mise en place en avril 2009, la gratuité de l’accès aux collections permanentes des musées nationaux, accordée aux jeunes de moins de 25 ans et aux enseignants, a mis clairement en exergue les lacunes du pilotage du ministère de la Culture. Si la mesure a peu convaincu en termes de fréquentation, elle a aussi été inutilement coûteuse, les établissements ayant perçu en contrepartie une compensation financière. Or celle-ci a été établie à partir de prévisions de hausse de fréquentation très hasardeuses. D'après la Cour des Comptes, le chiffrage a été effectué par les musées eux-mêmes avec des méthodes qui « n’étaient pas toutes rigoureuses ». Le Louvre a ainsi estimé la hausse de fréquentation des jeunes à 15,1% alors qu’elle a péniblement atteint 6,5%. Au final, c’est donc « une compensation largement surcalibrée » qui leur a été reversée. En 2010, ce trop perçu a atteint 11,36 millions d’euros (sur les 23,15 millions à avoir été reversés aux musées). Le ministère n’a pas pour autant exigé le remboursement du trop perçu. Au Louvre, la manne de la gratuité a ainsi été affectée au schéma directeur incendie. Soit un « pis aller discutable » pour la Cour des Comptes.


Le triste sort du musée Hébert

Les ayants droits du peintre Ernest Hébert ont dû se retourner dans leur tombe. Fin 2007, le musée éponyme, situé rue du Cherche Midi (Paris 6e), a bel et bien failli ne plus jamais rouvrir ses portes. Ouvert initialement grâce à un legs de la collection du peintre et de sa maison accordé en 1978 à l’État, le musée – entre-temps placé sous la tutelle du Musée d’Orsay - a fermé ses portes en 2004 dans l’attente de travaux de modernisation… qui n’ont jamais été programmés. En 2007, dans une lettre adressée au ministère de la Culture, le président du musée d’Orsay de l’époque, Serge Lemoine, a alors tout simplement proposé la fermeture définitive du musée et le déplacement des oeuvres vers le Musée d’Orsay et le musée départemental Hébert, situé à la Tronche (Isère). Cela afin de faire l'économie des travaux et de 100 000 euros de coût de fonctionnement par an. Christine Albanel, alors ministre de la Culture, y a mis son véto. Mais six ans plus tard, le musée est toujours fermé.


Au Louvre, les salles Total, Fimalac et Nippon télévision

Les longs passages consacrés au récent changement de philosophie à l’égard du mécénat culturel apportent leurs lots de révélations – sans toutefois ne jamais citer de noms mais des dates. On y apprend ainsi qu’en 2000, Pierre Rosenberg, alors président du Louvre, avait souhaité renommer la salle des Etats et la galerie d’Apollon du nom de leurs généreux mécènes, soit respectivement Nippon télévision et Total. De quoi provoquer la fureur de la ministre de la Culture, convoquant le PDG de Total pour lui signifier « qu’elle ne vendait pas le Louvre par appartements ». Quelques mois plus tard, une autre affaire allait envenimer les relations entre le Louvre et la Rue de Valois. Le président du Louvre avait en effet promis à Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac et fidèle mécène du musée, de rebaptiser de son nom la galerie Melpomène. Le nouveau veto de Catherine Tasca a alors été accompagné d'une interdiction faite au président du musée de reprendre la négociation sur ces bases.


Verbatim

« Pendant la fermeture du centre Georges Pompidou liée à sa rénovation, entre 1998 et 1999, l’établissement a organisé 34 expositions "hors les murs" des œuvres du musée national d’art moderne dans des musées territoriaux, qui ont attiré au total 2,5 millions de visiteurs.
En 2010, pendant la fermeture de la galerie des impressionnistes, le musée d’Orsay a organisé deux expositions destinées à se poser à Madrid, Sans Francisco et Nashville pour la première, Canberra Tokyo et de nouveau San Francisco pour la seconde. Ces deux expositions ont présenté ensemble environ 150 œuvres et ont rapporté entre 8 et 9 millions d’euros »
. La cour en conclut que, fort de ce constat, c’est à l’Etat de « préciser dans quelle mesure il entend faire bénéficier les régions des collections nationales. Car la dynamique de l’économie muséale ne produira pas spontanément une reprise de la politique de dépôts et une pratique active de la circulation des œuvres sur l’ensemble du territoire national. »


La délicate question de l’emploi

Plus de 13 % de croissance des effectifs entre 2000 et 2009, essentiellement au Louvre, Versailles et au Centre Pompidou : tel est le constat établi par la Cour des Comptes au sujet de l’épineuse question de l’emploi dans les musées. D’après les magistrats de la Rue Cambon, le mouvement d’autonomisation des grands musées ne s’est pas accompagné d’une recherche de productivité suffisante. La Cour déplore notamment la multiplication des emplois contractuels, en ayant parfois recours aux emplois dits « mécénés ». Cette pratique, née au Louvre et depuis répandue, désigne des emplois contractuels financés par le mécénat, mais devant correspondre à des missions précises conclues avec le financeur. Or un contrôle de l’administration opéré en 2010 a révélé que 50 de ces 87 emplois « mécénés » ne correspondaient pas à ce principe. Pour la Cour cette pratique est symptomatique d’une « incapacité des musées à redéployer leurs effectifs pour faire face à leurs nouvelles missions ». Le rapport soulève par ailleurs la question, explosive socialement, du coût de la surveillance et de l'accueil. Et s’interroge : « existe-t-il des marges de productivité ? », quand le coût de surveillance au mètre carré varie de 95 euros à 1 658 euros. Tout en rappelant la spécificité des collections, le rapport vante les mérites du modèle du Quai Branly, soit un vaste plateau ouvert et des oeuvres placées sous vitrine. La Cour appelle par ailleurs à chiffrer le véritable coût de l’externalisation du gardiennage. Car d’après le rapport, l’avenir des musées « impliquera nécessairement des suppressions d’emplois ».


Quelques données chiffrées du rapport portant sur les 37 musées nationaux

Dépenses budgétaires de l’Etat :
2000 : 334, 5 millions d’euros
2010 : 527, 65 millions d’euros

Taux de subventionnement : de 55 à 80 %
Chiffre d’affaires culturel total : 178,31 millions d’euros

Taux de ressources propres :
2004 : 48 %
2010 : 39 %

Fréquentation des jeunes de moins de 18 ans :
2003 : 17 %
2009 : 15,6 %

Fréquentation des ouvriers :
1989 : 23 %
2008 : 15 %



Légende photo :

entrée de la cour des comptes dans le 1er arrdt à Paris - Photo TouN - 2005 - Licence CC BY SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Les musées nationaux dans le collimateur de la Cour des comptes

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