Paroles d’artiste - François Curlet

« J’ai toujours été sensible à la mentalité de Filliou »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 837 mots

François Curlet (né en 1967) s’est mué en commissaire d’exposition à la galerie Nelson-Freeman, à Paris. À une sélection d’œuvres de Robert Filliou, il a adjoint des travaux d’autres artistes afin de composer un parcours réjouissant où les œuvres dialoguent avec légèreté et subtilité.

JDA : Vous êtes commissaire de l’exposition « Bob and Breakfast. Robert Filliou et ses invités ». Qui est à l’origine de ce projet et vous sentez-vous une forme de filiation avec Robert Filliou ?
François Curlet :
C’est la galerie Nelson-Freeman qui m’a invité à assurer ce commissariat, en me proposant de travailler avec le fonds de l’artiste, puisqu’elle représente « l’estate », et de faire résonner les œuvres avec d’autres. Je suis un peu concerné par Filliou car, depuis dix ans, je me suis amusé à constituer une archive, qui est en fait une collection de ses éditions et multiples, la plus grande existante. J’avais également depuis longtemps un lien avec Philip Nelson. Et puis, évidemment et principalement, l’esprit de Filliou m’intéresse. J’ai toujours été sensible à sa mentalité, car même s’il peut y avoir des choses plus ou moins heureuses visuellement, on est toujours touché par la corde raide qu’il y a entre le signe et son comportement. Pour en venir à l’influence ou la filiation, une chose m’avait frappée lorsque j’étais étudiant aux beaux-arts. Dans le catalogue de la dernière exposition rétrospective de son vivant, à l’ARC à Paris, on trouve une image de lui marchant dans la rue, dans la foule, à New York. La légende en est : « À cette époque Filliou a eu le projet de s’intégrer dans la foule. » Cela m’a marqué, car c’était véritablement un état d’esprit.

En regardant à la fois le travail de Filliou et le vôtre, on voit une manière commune de mêler humour et radicalité conceptuelle. Êtes-vous d’accord ?
F.C.
:
Je pense que la radicalité est une manière de revenir à des basiques dans le langage et les réponses. On était en plein dans les ruptures des années 1960, et je fais partie d’une génération qui a relu ces ruptures dans les années 1980 ; tout a été réamorcé à cette époque. J’ai beaucoup été nourri par l’art conceptuel mais pas tant que cela par le pop art, hormis Oldenburg pour son talent organique. Quelques artistes conceptuels m’ont marqué par une volonté de liberté plus que par une radicalisation. Cette libération passe par une évacuation du savoir technique, mais qui nécessite d’avoir conscience, d’essayer d’être très concentré et tendu sur le langage basique des signes. Mais cela n’empêche pas d’y mettre de l’humour et de la distance, car quand on met les signes en alerte, on est aussi dans le commentaire de ce qui se passe autour, ce qui demande de la concentration et de la maîtrise de soi. Le commentaire et cette concentration nous emmènent quelque part vers la satire. Je pense donc que l’aspect comique arrive avec la satire d’une relecture des signes environnants qui nous formatent.

Dans l’exposition, vous mettez en relation Filliou avec des artistes de générations diverses, tels Jean-Pierre Bertrand, Blinky Palermo, Dewar & Gicquel ou Ken Lum… Quelle a été votre matrice de travail ?
F.C. : Au départ il s’agissait d’impulsions. J’ai d’abord choisi certains artistes en rapport avec une mentalité justement, un « trait d’esprit ». Parfois ce furent simplement des œuvres qui ont trouvé chez Filliou un écho dans des objets précis, comme par exemple la photographie de Palermo (Projektion, 1971). Je crois que tous deux n’étaient pas si éloignés dans une volonté de se défaire, une forme de libération, même si formellement c’est le jour et la nuit, ce qui n’est pas très grave. Je crois que Palermo a fait une forme d’art concret et conceptuel, mais il a également tout mis à sac. J’ai trouvé un petit point de jonction avec les chapeaux colorés sur les monuments de Paris (Galerie légitime, 1968). Or, dans la photo de Palermo, il s’agit d’une projection de diapositives colorées dans une cour intérieure en Allemagne. On n’est pas dans le même rapport de monuments, mais dans une façon de voir teinter l’architecture et l’environnement. Il s’agit donc d’un rapport assez formel, mais comme c’est extrêmement décalé socialement, j’aime ce lien pour montrer que l’un et l’autre étaient assez indépendants des phénomènes de hiérarchie.

Il est souvent question, dans vos choix, d’un décalage ou d’un déplacement formel et sémantique des objets. Qu’en pensez-vous ?
F.C. : Il s’agit de la question de la relecture et de signifier visuellement la nouvelle vitesse qu’on a infligée à la lecture de ces objets ou de ces signes. Le propre de la relecture est de donner un nouveau tempo à ces objets et ces signes. Le décalage vient de l’interprétation. Dans presque tous les cas ici, les artistes sont des interprètes du réel.

BOB AND BREAKFAST. ROBERT FILLIOU ET SES INVITES

Jusqu’au 9 avril, galerie Nelson-Freeman, 59, rue Quincampoix, 75004 Paris, tél. 01 42 71 74 56, www.galerienelsonfreeman.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-13h et 14h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - François Curlet

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