Photographie

Guibert sans préjugés

La MEP consacre à Paris une rétrospective à l’écrivain et photographe mort du sida en 1991

Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 567 mots

PARIS - Homme d’image aux airs angéliques, il avait écrit le scénario de sa réapparition. Vingt ans après sa mort du sida à l’âge de 36 ans, la rétrospective « Hervé Guibert, photographe » (1955-1991) qu’organise la MEP (Maison européenne de la Photographie), à Paris, sort du purgatoire une œuvre occultée par disposition testamentaire.

Réunis pour la première fois, quelque deux cents clichés provenant du legs de l’auteur à cette institution et son unique film, La Pudeur ou l’Impudeur, dévoilent un journal intime où se lisent des instants de grâce. Entre ciel et enfer, l’écriture photographique du pensionnaire de la Villa Medicis, teintée de « morbidezza » [langueur morbide] d’Annuzienne, est l’antithèse de sa crudité littéraire assassine. Longtemps, l’écrivain médiatique qui révéla sa maladie dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (éd. Gallimard, 1990), dut tenir le photographe dans l’ombre. « Aujourd’hui son œuvre peut être jugée sans préjugés », estime la co-commissaire de l’exposition, Agathe Gaillard, qui fut sa galeriste.

À 18 ans, en 1973, le jeune surdoué qui se rêve cinéaste est recalé à l’Institut des hautes études cinématographiques, puis au Conservatoire. Restent la machine à écrire et le petit appareil photo Rollei 35, mis au service d’une œuvre qu’il juge « délicate et barbare ». De l’âge de 21 ans en 1977 jusqu’en 1985, ses critiques photo au journal Le Monde ouvrent les esprits aux images de Duane Michals ou Henri Cartier-Bresson. La même année, Guibert publie Suzanne et Louise (éd. Libres-Hallier), un roman-photo singulier qui met en scène ses grand-tantes. « D’emblée son style original et moderne a pris en compte la photo comme une écriture », note Agathe Gaillard, qui exposa en 1984 la série complète intitulée « Le seul visage » (publiée aux Éditions de Minuit). 

Linges, linceuls et voiles
Linges, linceuls, voiles et toiles : dès ses premières images, la mort, chez Guibert, recouvre la vie. Sur les cimaises chargées de la MEP, des pièces anatomiques expressives en cire montrent que l’objectif-scalpel de cet écorché vif incise aussi la vie dans la mort. « Je me défendrai toujours d’être un photographe : cette attraction me fait peur, il me semble qu’elle peut vite tourner à la folie », rapporte son journal posthume, Le Mausolée des amants (éd. Gallimard, 2001). Les portraits de ses proches, « des actes d’amour », forment le roman d’une vie peuplée d’acteurs, à l’instar de la série peu vue d’Isabelle Adjani. « L’image est l’essence du désir, et désexualiser l’image, ce serait la réduire à la théorie », affirme Guibert dans L’Image fantôme (Éditions de Minuit, 1981). Les nus de ses amants qui célèbrent Thierry, « Le fiancé » voilé (1982), empruntent à la littérature japonaise, qu’il chérit pour son raffinement dans l’érotisme. Parallèlement, Guibert s’est-il épris de son reflet ? « Le visage était ravissant, régulier, fin, d’une carnation pâle. Assemblages démodés », se dépeint en ces termes l’auteur de La Mort propagande (éd. Régine Desforges, 1977), qui dissèque ici son corps homosexuel.

Un thème clef dans son œuvre. « J’aime beaucoup tous ces autoportraits, pourtant aucun ne semble atteindre, en force, les autoportraits peints de Rembrandt : est-ce donc que la photo est moins forte que la peinture, à la fois plus exacte et plus superficielle ? », s’interroge le critique (in L’Image fantôme).

GUIBERT

Commissaires : Agathe Gaillard, Christine Guibert

Œuvres : 230 photos et le moyen-métrage La Pudeur ou l’Impudeur

Hervé Guibert, photographe

Jusqu’au 10 avril, Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75003 Paris, www.mep.org. Catalogue Hervé Guibert, photographe, par Jean-Baptiste Del Amo, éd. Gallimard, 224 p., 218 ill., 35 euros, ISBN 978-2-07-13255-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Guibert sans préjugés

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque