Histoire

États-Unis

La guerre civile sous silence

Par Stoilas Helen & Pes Javier · Le Journal des Arts

Le 28 février 2011 - 972 mots

Les musées américains boudent le 150e anniversaire de la guerre de Sécession, épisode encore douloureux de l’histoire du pays.

WASHINGTON - Il y a tout juste un siècle et demi, sept États du Sud de l’Union faisaient sécession, provoquant la guerre civile américaine (1861-1865). Pendant quatre ans, cet épisode fondateur de l’histoire des États-Unis a fait des millions de victimes et s’est conclu par l’abolition de l’esclavage. Cependant, malgré son impact durable, aucune grande exposition n’est programmée dans le pays pour célébrer cet anniversaire. En 2009, le bicentenaire de la naissance d’Abraham Lincoln fut traité autrement. Le Congrès américain avait créé une commission spéciale pour organiser une célébration d’ampleur nationale, avec son lot d’expositions commémoratives. À Washington, la National Portrait Gallery, la National Gallery of Art et le National Museum of American History avaient rendu hommage à la vie et à l’image laissée par le 16e président des États-Unis. La New York Historical Society avait mis sur pied une ambitieuse exposition, « Lincoln et New York », dont une version réduite circule encore dans le pays. Les musées d’art ont également participé à la commémoration du mouvement des droits civiques des années 1950 et 1960, l’exposition itinérante « Road to Freedom » du High Museum of Art d’Atlanta en étant un exemple.
La guerre de Sécession a eu un impact majeur sur quelques artistes et photographes tels Mathew B. Brady (1822-1896), dont les images de cadavres continuent de choquer un public plus habitué à une vision idéalisée du conflit. « L’Amérique est très inhibée à l’idée de commémorer la guerre civile, et c’est le cas depuis le début », explique Harold Holzer, éminent spécialiste de Lincoln et vice-président senior des affaires extérieures au Metropolitan Museum of Art, à New York. Harold Holzer était l’historien en chef pour le projet « Lincoln et New York », et coprésidait la commission du bicentenaire. « Les critiques qui ont accueilli certains tableaux clés étaient divisées. Elles reprochaient l’idée de commémorer quelque chose de tant déplaisant… » Il ajoute que le centenaire de la guerre en 1961 avait été « une pagaille à plus d’un titre ». Les États du Sud ne voulaient pas que ces célébrations favorisent le mouvement des droits civiques et insistaient pour en avoir une « réminiscence romancée ». 

Une histoire qui ne passe pas
Exception notable au silence environnant, le Smithsonian American Art Museum, à Washington, prépare une grande rétrospective examinant l’impact du conflit sur l’art américain, en particulier sur les paysages et les scènes de genre. Programmé pour ouvrir ses portes en novembre 2012, « The Civil War and American Art » devrait inclure des tableaux phare de la guerre, dont les fameux Prisoners from the Front (1866) et Home, Sweet Home (1863) de Winslow Homer. Le Metropolitan Museum of Art et la National Gallery of Art ont donné leur accord respectif pour prêter les tableaux, auxquels s’ajoutera A Visit from the Old Mistress (1876), toujours de Winslow Homer, issu des propres collections du Smithsonian American Art Museum. Le Metropolitan est actuellement en discussion avec le Smithsonian pour une éventuelle venue de l’exposition de Washington à New York en 2013.
Pendant ce temps, à Richmond, le Virginia Museum of Fine Arts a inauguré, le 15 janvier, une exposition de dessins, provenant d’une collection privée, de Joseph Becker et ses collègues artistes et reporters de guerre, organisée par le McMullen Museum of Art de Boston (jusqu’au 3 avril). Une porte-parole du Virginia Museum of Fine Arts s’étonne que « si peu de musées aient pris l’initiative d’organiser des expositions », tout en comprenant que l’institution pour laquelle elle travaille est située dans l’ancienne capitale de la Confédération. Eleanor Jones Harvey, responsable de la conservation au Smithsonian American Art Museum et commissaire de « The Civil War and American Art », explique le faible nombre d’expositions par la rareté des tableaux de grande qualité illustrant le conflit. Contrairement à la révolution américaine et son ennemi bien défini – les Anglais –, la guerre de Sécession n’a pas inspiré de nombreux tableaux héroïques. « Il n’y avait pas de marché pour des [tableaux mettant en scène des] Américains se battant contre des Américains », dit-elle. Et de s’interroger : « Comment commémorer quelque chose que nous n’avons pas, d’une certaine manière, vraiment digéré ? » 

Mouvement de recul
La réputation de Winslow Homer s’est faite avec la guerre. En qualité d’artiste-correspondant, il réalisait des esquisses sur le champ de bataille, qu’il utilisait plus tard pour ses huiles sur toile. Selon Eleanor Jones Harvey, le travail de Homer a eu un grand impact grâce à son regard critique. Le Nord avait beau avoir gagné la guerre, il devait toujours résoudre les problèmes à l’origine de la sécession. Prisoners from the Front illustre ce message à travers l’attitude de défi « suffisante, assurée, impavide » des soldats confédérés en captivité. « Winslow dit : « Vous avez peut-être arrêté de vous battre sur le champ de bataille, mais à moins de régler cela, nous n’en avons pas fini. » » Ce sentiment resurgit dix ans plus tard dans A Visit from the Old Mistress, qui met en scène des femmes américaines d’origine africaines défiant du regard leur ancienne maîtresse blanche. Ce tableau « contient tellement de colère que j’ai vu des gens reculer devant », déclare Eleanor Jones Harvey. Elle indique que la plupart des musées n’ont pas hésité à donner leur accord pour des prêts, mais à mesure que la commémoration approche, certains d’entre eux semblent réaliser qu’ils auraient dû organiser quelque chose. « Il est maintenant difficile de convaincre les conservateurs de se défaire des œuvres de Winslow Homer. Les premières réponses étaient : « Bien sûr, aucun problème. » Aujourd’hui, elles sont plus réticentes et disent en substance : « Oh, peut-être que nous ferions mieux de les garder ici. » »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : La guerre civile sous silence

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