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Exposer/publier

Le Journal des Arts

Le 3 février 2011 - 631 mots

La pratique du livre d’artiste telle qu’elle se développe depuis les années 1960 constitue une alternative critique aux modes traditionnels de production et de diffusion de l’art, dont les expositions sont la forme la plus emblématique à l’ère moderne et contemporaine. Pourtant, de nombreuses éditions d’artistes sont éditées par des lieux d’art à l’occasion de tels événements. De ce constat paradoxal a émergé la nécessité d’étudier de plus près les relations entre pratiques d’édition et pratiques d’exposition dans l’art contemporain. À la suite de travaux existants (1), il s’agit d’avoir une compréhension approfondie du phénomène des livres d’artistes, appréhendé comme un territoire pour l’art où des œuvres reproductibles prennent pour forme et pour support le livre, la revue, la page, en appliquant à l’art l’esthétique et les stratégies de l’édition contemporaine. Parmi ces livres d’artistes édités lors d’expositions, certains peuvent être liés à la manifestation qui occasionne leur publication d’une manière strictement circonstancielle. Mais il n’est pas rare qu’une édition d’artiste donnant suite à la réalisation d’œuvres exposées entretienne avec elles des liens beaucoup plus complexes, en détournant la fonction de reproduction et la dimension documentaire du catalogue d’exposition à des fins artistiques. Ce type de livres relève de démarches d’adaptation, de variation, de dérivation ou de déclinaison, au sens où l’on décline une chose sous diverses formes qui sont à voir comme les multiples versions différentes d’un même projet. Ces livres proposent ainsi l’exposition dans une forme seconde, en déplaçant la frontière entre l’œuvre et le document. Enfin, situation limite parmi d’autres cas de figures encore, c’est parfois le livre qui constitue lui-même la matrice d’une pratique d’exposition potentielle, dans un renversement des hiérarchies habituelles. De tels cas de figures abondent à travers les publications de Christian Boltanski, Marcel Broodthaers, Hanne Darboven, Hans-Peter Feldmann, Éric Watier et bien d’autres.

Du rôle stratégique des éditions d’artiste
Il apparaît en fait que les livres et les éditions d’artistes se positionnent constamment entre pratiques d’exposition alternatives et pratiques alternatives à l’exposition. Pratiques d’exposition alternatives dans la mesure où l’édition est un moyen potentiel de monstration des œuvres d’art. Les livres d’artistes ont ainsi une fonction d’exposition de même que les expositions ont une fonction de publication (une faculté à rendre publique), ce possible rapprochement tenant à leur caractère commun de « média » (2). Cette analogie est au cœur d’un grand nombre de publications, à commencer par celles que Seth Siegelaub édita entre 1968 et 1971. Lorsqu’il délaissa sa galerie, considérant qu’elle n’offrait pas un mode de visibilité très approprié au travail des artistes d’art minimal et d’art conceptuel qu’il défendait, ce marchand d’art new-yorkais édita en effet une série de publications tenant lieu et place d’expositions. Non plus des catalogues d’exposition, mais des expositions sous forme de catalogues. Pratiques alternatives à l’exposition, car si l’analogie entre la diffusion par l’imprimé et la monstration dans des lieux dévolus à l’art est ancienne dans l’histoire de l’édition, elle est également approximative. L’œuvre d’art, en effet, ne peut se rendre présente à ses récepteurs que par l’intermédiaire d’un certain nombre de médiations. Les musées, les galeries, les centres d’art, etc., sont aujourd’hui les principales instances de cette médiation concernant les manifestations directes de l’art. Or, pour les éditions d’artistes, ces instances ne sont plus les mêmes. Cette modification n’est pas seulement administrative ou technique. Elle implique pour l’art un changement d’économie et un renouvellement des schémas de réception esthétique conventionnels. L’enjeu de ces recherches est alors de resituer les éditions d’artistes dans le champ plus vaste des pratiques artistiques contemporaines tout en précisant ce qui fait ici leur spécificité. 

(1) voir notamment les travaux de Marie Boivent, Leszek Brogowski, Johanna Drucker, Anne Mœglin-Delcroix (tout particulièrement) ou Clive Phillpot. (2) À ce sujet, cf. Jean Davallon. À noter, le site Web de jérôme Dupeyrat : www.jrmdprt.net

Pour rendre compte de l’actualité de la recherche universitaire, le Journal des Arts ouvre ses colonnes aux jeunes chercheurs en publiant régulièrement des résumés de thèse de doctorat ou de mémoire de master (spécialité histoire de l’art et archéologie, arts plastiques, photographie, esthétique…). Les étudiants intéressés feront parvenir au journal leur texte d’une longueur maximale de 4 500 caractères (à adresser à Philippe Régnier, directeur de la rédaction : pregnier@artclair.com, et Françoise Savatier, secrétaire de rédaction : fsavatier@artclair.com). Nous publions cette quinzaine le texte de Jérôme Dupeyrat, qui prépare sa thèse à l’université Rennes-II sous la direction de Leszek Brogowski et d’Anne Mœglin-Delcroix.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Exposer/publier

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