Anticipation

Apocalypse Now

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 2 février 2011 - 670 mots

Comment en finir avec l’angoisse de l’apocalypse et la pensée d’un temps linéaire ?

METZ - Comment en finir avec l’angoisse de l’apocalypse et la pensée d’un temps linéaire ? Béatrice Josse, directrice du FRAC [Fonds régional d’art contemporain] Lorraine s’est fait une spécialité de saisir les sujets les plus brûlants à pleine main. L’exposition « Geste serpentine et autres prophéties » formule des réponses esthétiques à une interrogation cosmique, en conjuguant  les œuvres de figures historiques (Ian Wilson, Werner Herzog) et de jeunes artistes non moins prometteurs comme le Lorrain Benoît Billotte ou le Mexicain Iňaki Bonillas [lire p. 20].  À première vue, le catastrophisme ambiant, nourri par les médias qui promettent chaque jour un nouveau scénario de fin du monde – immédiatement mis en scène à Hollywood – a déteint sur la production artistique qui affiche ici son pessimisme dans son goût pour le noir. La cour du bâtiment est jonchée de bandes de caoutchouc qui attendent d’être enroulées dans une grosse boule, fardeau poisseux de l’artiste en figure de Sisyphe (Grow, de Pierre-Étienne Morelle).
Pour atteindre l’entrée, il faut marcher sur ces chambres à air dégonflées, métaphore déconcertante de l’existence qui a pour seul destin d’être absorbée dans cette pelote de temps révolu. À l’intérieur, le film grandiose de Werner Herzog tourné au milieu des puits de pétrole du Koweït enflammés par la guerre du Golfe de 1991, dépeint un monde qui a déjà vécu sa fin (Lessons of Darkness). La bande-son wagnérienne accentue la spectacularisation jouissive des événements. Mais l’esthétisation d’une vérité effroyable profiterait-elle à sa prise de conscience ? C’est le postulat du réalisateur. L’exposition, elle, inviterait à une méditation distancée par la transposition esthétique de la paranoïa médiatique, à l’image du 2017 de Pratchaya Phinthong. L’artiste imprime sur le mur à l’aide d’une encre sympathique un texte tiré d’un blog alarmiste qui annonce la collision d’une planète avec la Terre quand une partie de la population aura fui sur Mars. La prophétie s’efface silencieusement de l’exposition tandis qu’elle déchaîne les passions sur Internet. Cette posture lénifiée de l’artiste en sage s’éprouve dans l’œuvre aussi poétique que minimale d’Iňaki Bonillas (Naufragio en silencio), ligne discontinue du temps, ou horizon invariable d’un présent immuable tracé au bleu de méthylène par un cordon de maçon.

L’homme, cette poussière
Le motif du cercle, géométrie du mysticisme, se retrouve plus loin dans une œuvre déroutante de Corey Mccorkle. Ce qui passe pour un néon est en réalité un halo de lumière naturelle dont l’effet est obtenu par simple obstruction d’une fenêtre avec un disque de bois taillé en biseau (Heiligenschein). Le geste écologique détourne l’esthétique moderniste tout en contredisant le rationalisme conceptuel. Le regardeur pris au piège se retrouve dans une posture contemplative – voire romantique – inattendue. L’œuvre qui disparaît avec le jour intègre dans son mode d’existence même la conscience de sa finitude, dont il est ici – et toujours – question.
Cette particularité rejoint la problématique de l’œuvre non conservable à laquelle s’attache la politique d’acquisition du FRAC Lorraine. L’éphémère est aussi la condition de Sunline de Benoît Billotte, dessin tracé à la craie à partir des variations d’intensité du Soleil, ou de Polyeder/Polyhedron, de Monika Grzymala. L’œuvre in situ donne corps à la théorie de la quatrième dimension dans un dessin-sculpture réalisé avec du ruban adhésif noir. Ici l’artiste ne se contente pas de produire un bouleversement visuel mais semble prendre en charge la vulgarisation des découvertes de la physique quantique qui ont ébranlé les conceptions classiques du temps et de l’espace. Pour son monumental Firmament III, Antony Gormley agrandit l’infiniment petit à l’échelle humaine afin d’expérimenter physiquement ce qui se conçoit difficilement : la consistance atomique de l’espace. Le voyage dans la structure métallique ne laisse pas indemne, il conduira les moins sceptiques à repenser la place de l’homme, cette poussière, dans l’univers. 

GESTE SERPENTINE ET AUTRES PROPHÉTIES

jusqu’au 1er mai, FRAC Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, 57000 Metz, tél. 03 87 74 20 02, du mardi au vendredi 14h-19h, samedi et dimanche 11h-19h, www.fraclorraine.org 

GESTE SERPENTINE

Commissaire : Béatrice Josse, directrice du FRAC Lorraine

Nombre de salles et d’œuvres : 9

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Apocalypse Now

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque