L’actualité vue par

Johann Kräftner, directeur du Liechtenstein Museum, à Vienne

« Notre politique est de prêter la meilleure œuvre qui soit »

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 1 février 2011 - 1430 mots

Directeur du Liechtenstein Museum, à Vienne, Johann Kräftner revient sur la stratégie et les projets de la collection princière.

Architecte de formation, Johann Kräftner dirige depuis 2002 le musée qui abrite les collections princières du Liechtenstein, à Vienne, en Autriche. Cet été, le Palais Lumière à Évian (Haute-Savoie) accueillera, sous le titre « Splendeurs des collections princières du Liechtenstein. Bruegel, Rembrandt, Rubens… » (du 4 juin au 2 octobre), une petite sélection des quelques milliers de tableaux et objets d’art accumulés depuis le XVIe siècle.  À la tête du LGT Group, institution financière privée à laquelle il doit sa fortune, le prince Hans-Adam II a repris le flambeau de la collection avec appétit depuis une trentaine d’années, allant jusqu’à dépenser une dizaine de millions d’euros chaque année sur le marché. Couvrant la période allant de la Renaissance au romantisme autrichien, les collections ne cessent de circuler à travers le monde. À partir de novembre 2012, elles bénéficieront des espaces supplémentaires du Stadtpalais, l’hôtel particulier de la famille princière à Vienne, en complément de l’actuel site du musée, le Gartenpalais (palais d’été). Johann Kräftner revient sur l’institution et commente l’actualité.

Le bassin lémanique est doté d’institutions telles la Fondation de l’Hermitage (Lausanne) et la Fondation Gianadda (Martigny), qui ont l’habitude d’accueillir des collections étrangères. Pourquoi ce choix, plus original, du Palais Lumière à Évian ?
C’est une question étrange sur une décision étrange que nous avons prise. La banque du prince, la LGT Bank, était intéressée par Évian sur le plan des affaires. Les responsables m’ont demandé, comme ils l’ont fait pour Hongkong, Singapour et Tokyo à une plus grande échelle, d’y organiser une exposition. L’intérêt de cette ville était sa proximité avec Genève, tout en étant située en France. La LGT Bank étant notre mécène, je ne lui demande jamais ses raisons, et j’essaie de la servir au mieux. L’identité marketing de la banque est d’ailleurs centrée sur les chefs-d’œuvre de la collection. C’est un échange de bons procédés.

Le Palais Lumière n’a pas d’œuvres à vous proposer en échange. Y a-t-il des conditions financières particulières pour une telle organisation ?
Les expositions que nous organisons au Gartenpalais à Vienne sont de taille réduite et ne dépendent pas de prêts extérieurs. Notre politique est de prêter la meilleure œuvre qui soit ou rien du tout. Nous avons beaucoup prêté au Louvre [ainsi Le Prince Joseph Wenzel de Liechtenstein, pour l’exposition « Messerschmidt », lire p. 10], mais nous ne leur avons jamais rien demandé. Si le prince n’a pas besoin d’argent, ce n’est pas le cas du musée, dont le fonctionnement coûte très cher – le loyer versé au prince et à sa fondation est énorme. Lorsque notre deuxième site [le Stadtpalais] sera ouvert [fin 2012], notre loyer total s’élèvera à 3,5 millions d’euros, par an, un montant que les billets d’entrée ne couvriront pas ! Nous dépendons donc de mécènes – comme ce collectionneur américain qui vient de nous faire don d’un million de dollars, ou encore Sotheby’s, qui finance le salaire d’une documentaliste chargée de faire l’inventaire quinquennal de la collection. Jusqu’ici, le prince n’a pas souhaité rendre ces prêts payants, mais tout peut changer. Il serait cependant impensable d’exiger des fonds aux structures que la LGT Bank nous demande de solliciter. Aucun forfait de location n’a donc été demandé à Évian, qui a pris en charge les frais de production, mais les frais d’assurance ont été partagés.

Cette exposition ressemble-t-elle à celle programmée l’automne dernier à la Royal Academy de Londres et annulée in fine par le prince ? (1)
Pas du tout. La sélection des œuvres a été faite en fonction de leur qualité, de leur disponibilité, mais aussi du lieu. Les plafonds à Évian sont particulièrement bas, contrairement à ceux de la Royal Academy. Les œuvres choisies sont, en conséquence, de format plus modeste. 

Qu’en est-il du Portrait de l’Infant Don Diego d’Alonso Coello ? Cette affaire a-t-elle influé sur la manière dont vous menez dorénavant vos acquisitions au Royaume-Uni ?
Le tableau se trouve dans un dépôt sécurisé au Royaume-Uni. Mais nous ne souhaitons plus le vendre – nous l’avons acheté 2 millions de livres sterling, il en vaut aujourd’hui 6. Nous attendons depuis cinq ans, nous attendrons cinq ans de plus avant de le rapatrier. Le système britannique est particulièrement tordu, et il finira par s’effondrer : il donne, par exemple, la priorité à un fonds d’investissement britannique, derrière lequel peut se cacher un spéculateur russe, aux dépens d’un collectionneur sérieux comme le Getty ou le prince du Liechtenstein. En France, avec le recours à la préemption, les choses sont strictes mais claires. Le scandale est que le tableau est dissimulé aux regards. Notre erreur a été de payer cash et avant d’obtenir le certificat d’exportation, ce qui ne se reproduira plus jamais.

En septembre 2008, vous aviez présenté les bronzes de la collection chez les frères Kugel, à Paris. Pourquoi ce choix d’une galerie commerciale ?
Alexis Kugel est membre de notre « Elite Group of Fine Art Dealers », un cercle exclusif de marchands d’art qui nous soutiennent financièrement en payant une cotisation annuelle [dont le montant est variable et confidentiel et dont les membres comptent Konrad Bernheimer, Giovanni Sarti et Daniel Katz]. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient des interlocuteurs privilégiés en termes d’acquisitions, mais il est vrai que plus l’on achète chez eux, plus ils auront tendance à faire un don annuel élevé. Cette tradition de liens étroits avec les marchands et les maisons de ventes remonte, dans la famille princière, à plusieurs siècles.

En avril 2008, le prince Hans-Adam II a décidé de refuser toutes les demandes de prêts émanant de musées en Allemagne, à la suite du vol d’informations sur la clientèle de sa banque, la LGT Bank. Cet embargo est-il toujours d’actualité ?
Oui. C’est un grave problème pour l’institution, mais aussi pour le prince, lequel est déterminé. Pour éviter la faillite, il a conclu des accords secrets avec les États-Unis et le Royaume-Uni, mais l’Allemagne a essayé de mettre dos à dos le Liechtenstein et la Suisse, dans une situation similaire. Et aucun accord n’a encore été conclu. C’est dommage car la Liebieghaus (Francfort) propose actuellement une très belle exposition sur les ivoires et je voulais leur confier nos plus belles pièces. Ce musée a beau être privé, le prince reste intransigeant sur la question.

Où en sont les travaux de rénovation du Stadtpalais, qui sera votre second site d’exposition à Vienne ?
Nous souhaitons redonner la priorité à Vienne, et présenter autant d’œuvres possibles sur les 1 600 tableaux qui sont en réserve et dont nombre d’entre eux ont été restaurés dernièrement. Nous avons également travaillé sur notre fonds gigantesque de peinture hollandaise qui n’a jamais été présenté. À l’automne, le Gartenpalais aura déjà été réaménagé pour exposer 40 % d’œuvres en plus. Un an plus tard, le Stadtpalais, situé sur la Bankgasse, sera inauguré et nous y exposerons un ensemble de tableaux de la période Biedermeier qui n’a cessé de voyager ces dernières années (Moscou, Prague, Zwolle…). Les visiteurs privilégient les musées viennois situés au cœur de la ville, c’est pourquoi le réaménagement de cet hôtel particulier s’est imposé. Nous avons dû retarder la date d’inauguration, car les travaux ont réservé quelques surprises quant à la stabilité du bâtiment et à la conservation d’éléments architecturaux.

Quelle exposition vous a-t-elle le plus marqué récemment ?
« Gauguin » à la Tate Modern [Londres], une exposition extraordinaire. Certaines salles ne renfermaient que quelques tableaux, mais des pièces magistrales. On pouvait mourir en toute tranquillité après les avoir vues. Et aussi « L’Antiquité rêvée » [jusqu’au 14 février] au Musée du Louvre, de grande qualité, qui relève plus de mon domaine d’expertise.

Note

(1) En 2006, le prince du Liechtenstein achetait neuf tableaux à Londres, dont Le Portrait de Don Diego, fils de Philippe II d’Espagne (1577), d’Alonso Sánchez Coello. Conformément à la loi britannique, le certificat d’exportation n’est pas immédiatement délivré pour une œuvre de cette importance, afin de permettre à un acheteur britannique de l’acquérir pour le même montant. Sur les rangs, la National Gallery de Londres a dû suspendre sa campagne de levée de fonds lorsque le portrait a été saisi dans le cadre d’une enquête du Bureau des douanes britanniques. Depuis, le portrait a été remis à un représentant de la principauté, mais ne peut pas quitter le Royaume-Uni. En signe de protestation, le prince Hans-Adam a annulé l’exposition qui devait se tenir à l’automne 2010 à la Royal Academy et qui devait réunir une centaine de pièces de ses collections.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Johann Kräftner, directeur du Liechtenstein Museum, à Vienne

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