Récit

Jack Lang dans le rétroviseur

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2011 - 751 mots

L’ancien ministre de la Culture livre sa version du combat mené dès 1981 en faveur du Grand Louvre.

Vite lu et sûrement vite écrit, d’où certaines coquilles – comme situer le Musée d’Écouen (Val-d’Oise) en Normandie ! – et de nombreuses répétitions. La dernière livraison de l’éternel ministre de la Culture, Jack Lang, ne restera pas dans les annales de la littérature. Mais elle constitue un témoignage clé sur les années Mitterrand en matière de politique culturelle, une époque qui a charrié son lot de nostalgiques, dont les rangs continuent à grossir dans le contexte actuel d’atonie du ministère de la Culture. Plutôt que de livrer des mémoires in extenso de son long passage Rue de Valois (de 1981 à 1986 puis de 1988 à 1993) – qui ne manqueraient pourtant pas d’intérêt –, Jack Lang s’en tient pour le moment à n’évoquer qu’un seul chapitre : celui de la bataille menée pour la création du Grand Louvre. Ce choix est logique car, de tous les grands projets mitterrandiens, cette rénovation du Louvre est aussi la principale réussite. Cela malgré une gestation menée au forceps. Dans un récit au ton très personnel, qui tient logiquement du plaidoyer, l’ancien ministre de la Culture rappelle qu’il a été l’instigateur de la renaissance du Musée du Louvre, jetant avec ces grands travaux les bases du succès actuel de l’établissement. Cette paternité de l’idée a bel et bien été confirmée en 2003, dans ses mémoires, par Michel Laclotte, ancien directeur du musée, qui dévoilait alors déjà l’essentiel des secrets du Grand Louvre (1). Le document fondateur, daté du 27 juillet 1981, est reproduit fièrement dans le livre. Il s’agit d’une note dactylographiée exposant le projet et adressée à François Mitterrand, annotée à la main par ce dernier : « Bonne idée mais difficile (par définition comme toutes les bonnes idées). » 

Course contre la montre pour déloger les Finances
En plus de 200 pages, Lang écrit donc son histoire du Louvre, émaillée de quelques passes d’armes mémorables. Ainsi de la polémique née autour de la pyramide dessinée par l’architecte Ieoh Ming Pei et des attaques menées par un prédécesseur Rue de Valois, Michel Guy, ou encore par le brillant critique André Fermigier, auteur d’un article au vitriol intitulé « La maison des morts » et publié par Le Monde en 1984. Il y est aussi question de la course contre la montre engagée pour déloger le ministère des Finances de la rue de Rivoli, où Édouard Balladur se réinstallera pourtant lors de la cohabitation, obligeant les ouvriers du chantier de l’aile Richelieu à travailler de nuit pour ne pas importuner les éminents fonctionnaires du Trésor. Ce chantier ne sera achevé qu’en 1993, soit quatre ans après l’inauguration de la pyramide. D’autres chapitres, moins utiles, réitèrent les prises positions de l’ancien ministre sur l’actualité du Louvre, désormais porté par « son nouveau visionnaire », Henri Loyrette, dans la suite de sa propre action. Jack Lang s’y pose en ardent défenseur de la cause du Louvre-Lens pour laquelle il confesse avoir mené un intense lobbying. Il justifie le projet d’Abou Dhabi par la vocation universaliste du Louvre mais surtout par pragmatisme, l’argent récolté permettant ainsi de « terminer le Grand Louvre ». Les travaux au sein du vieux palais sont en effet loin d’être achevés : outre la création de nouveaux espaces pour le département des Arts islamiques, l’heure est déjà au réaménagement des espaces d’accueil conçus par Pei, saturés car prévus seulement pour 4,5 millions de visiteurs (le musée n’en accueillait que 2,5 millions en 1981) alors que 8,5 millions de personnes l’ont fréquenté en 2009. Ce livre est donc à prendre comme tel, avec son évidente partialité. Mais il semble aussi porter une autre ambition : celle de délivrer quelques principes d’action pour laisser une empreinte durable au ministère de la Culture. Lang, militant d’une « culture élitaire pour tous », dont on peut reconnaître qu’il a su s’entourer de personnalités compétentes, y plaide en faveur des grands projets, qu’il conseille de rendre rapidement irréversibles pour éviter qu’ils ne soient enterrés. « La France a besoin de grands desseins […], écrit-il. De tout temps, certains de ses hommes d’État croient à l’impossible et répondent aux vœux secrets du pays, à son besoin de rêve de dépassement […]. Les Français ont toujours besoin de s’identifier à de grandes réalisations. » L’emphase ne suffit pas à faire de ce credo une politique culturelle. Mais elle a permis à Lang de devenir – et de rester sûrement encore pour longtemps – le ministre de la Culture français le plus populaire.

(1) Michel Laclotte, Histoires de musées. Souvenirs d’un conservateur, éd. Scala, 2003, 356 p., 18,50 euros, ISBN 978-2-8665-6307-3

Jack Lang, Les Batailles du grand Louvre, éd. RMN, 2010, 264 p., 15 euros, ISBN 978-2-7118-5789-0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Jack Lang dans le rétroviseur

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