Architecture

Entre nature et artifice

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2011 - 749 mots

Le FRAC Centre, à Orléans, dresse un panorama des architectures « monolithiques », nées en réaction au fonctionnalisme d’après-guerre.

ORLÉANS - On a tous à l’esprit cette image fameuse du monolithe du film de Stanley Kubrick 2001, l’Odyssée de l’espace. Cette forme parallélépipédique autant sombre qu’énigmatique, à la fois architecturale et métaphorique. Nombre d’architectes de cette même période, les années 1960 (le film date de 1968), ont imaginé, en réaction au fonctionnalisme d’après-guerre, des architectures dites « monolithiques ». En témoigne l’exposition « Monolithe ou l’architecture en suspens », concoctée par le FRAC Centre à Orléans (Loiret), qui en dresse une sorte de panorama des années 1950 jusqu’à aujourd’hui. L’institution, qui puise dans ses propres collections, met en regard des travaux d’architectes et des œuvres d’artistes. Le propos est captivant. Le plus étonnant est d’observer comment cette critique du fonctionnalisme d’après-guerre fait se poser la question de la forme ou, mieux, de la non-forme architecturale, laquelle ramène invariablement les maîtres d’œuvre à… la nature. À commencer par la forme naturelle la plus compacte qui soit : le rocher. À l’instar de la toile de Magritte intitulée Le Château des Pyrénées (un minuscule château planté au sommet d’un énorme rocher en apesanteur), l’architecte autrichien Hans Hollein fait flotter, en image, un rocher pétrifié sur la ville de Salzburg (Überbauung Salzburg, 1962) à la manière des détournements du pop art. Sur un autre de ses dessins, la cité devient une suite de volumes primitifs dans un style mégalithique qui n’est pas sans évoquer le site préhistorique de Stonehenge (Angleterre). Architecture et urbanisme en prennent alors pour leur grade. À l’inverse, cette critique du fonctionnalisme peut aussi s’exprimer, non pas à travers une masse imposante, mais par une intervention plus délicate. L’artiste américain Charles Simonds déploie ainsi, dans les rues de New York, de minuscules archéologies baptisées Dwellings, vestiges d’une civilisation fictive dont il a lui-même inventé l’histoire. Dans une vidéo désopilante, on le voit, imperturbable, déposer une à une, à l’aide d’une pince à épiler, des briques d’argile miniatures dans les anfractuosités du Lower East Side. À la fois oniriques et enfantines, ces pseudo-ruines dénoncent les no man’s land de la ville, immeubles démolis et terrains vagues. Le retour à la forme primaire est de mise. L’architecture devient sculpture. André Bloch réalise des Sculptures-habitacles, façon maisons des Barbapapas, qu’il expérimente dans son propre jardin, et dont on peut voir, ici, une maquette en plâtre. Dans une vidéo, l’artiste autrichienne Aglaia Konrad filme une incroyable demeure : la première maison belge construite en béton projeté dans les années 1960. Nous sommes proches de la grotte. L’architecture reviendrait-elle à la case départ ? 

Puissance brutaliste
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce renouveau du langage architectural de l’après-guerre se développe aussi à travers des projets liturgiques, qui arborent une indéniable expressivité plastique. Entre 1963 et 1966, les architectes Claude Parent et Paul Virilio réalisent l’église Sainte-Bernadette du Banlay, à Nevers (Nièvre), entre bunker et mastaba. Au même moment, le sculpteur Pierre Székély construit l’église du Carmel, à Saint-Saulve, près de Valenciennes (Nord), au plan quasi abstrait. Dix ans plus tard, l’artiste autrichien Fritz Wotruba concevra, non loin de Vienne (Autriche), l’église de la Sainte-Trinité, construction monumentale constituée d’un enchevêtrement chaotique de blocs de béton à la puissance brutaliste. Cette dimension tellurique est aussi lisible dans le travail du photographe belge Jan Kempenaers, qui a sillonné l’ex-Yougoslavie pour saisir ce qui reste des monuments érigés sous le régime de Tito en hommage à la résistance communiste à l’occupation nazie. Aujourd’hui vidées de leur idéologie, ces sculptures monumentales sont des mémoriaux pour le moins insolites.

Pied de nez à la nature, la roche est parfois « taillée » tel le diamant comme ce projet, en 2001, de l’architecte Frédéric Borel pour l’Institut de développement local d’Agen, dont l’enveloppe à l’asymétrie complexe donne une apparence cristalline. Pas étonnant si cette pièce est mise en regard d’une sculpture de Vincent Mauger, gros caillou de bois stylisé constitué d’une multitude de facettes triangulaires. À contrario, In the Shadow of Ledoux, la spectaculaire sculpture de l’architecte Mark Goulthorpe (agence dECOi), ici déployée, est l’exact opposé du géométrique monolithe de 2001 et pourtant aussi impénétrable. Tout en courbes, le volume qui se replie sur lui-même génère une surface illimitée et imprévisible, signant, de fait, la dissolution de l’architecture rationaliste.

MONOLITHES OU L’ARCHITECTURE EN SUSPENS (1950-2010)

Jusqu’au 27 février, FRAC Centre, 12, rue de la Tour-Neuve, 45000 Orléans, tél. 02 38 62 52 00, www.frac-centre.fr, tlj 10h-12h et 14h-18h, le week-end 14h-18h

MONOLITHES

Commissariat : Marie-Ange Brayer, directrice du FRAC Centre

Nombre de pièces : environ 70

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Entre nature et artifice

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