Monographie

Le cinéma en volumes de Robert Breer

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2011 - 677 mots

Bordeaux, les sculptures flottantes de l’artiste américain enchantent le CAPC, avec une pratique aux confluents de la peinture et du cinéma.

BORDEAUX - De discrètes poutrelles de métal posées au sol clôturent la nef du CAPC – Musée d’art contemporain de Bordeaux, lui définissant un cadre, au sens strict du terme. À l’intérieur se déploie, et c’est une première, la presque totalité des sculptures flottantes de Robert Breer, vétéran de l’art américain né en 1926. L’accumulation de ces vingt-six mobiles réalisés entre 1965 et 2010 offre une autre lecture de ces Floats, qui n’ont en groupe plus la même présence qu’isolés, composant un ballet subtil entre mouvement et immobilisme. Montés sur roulettes et motorisés avec des systèmes on ne peut plus élémentaires, ces volumes basiques (cylindres, parallélépipèdes, colonnes, dômes…) sont réalisés dans des matériaux qui ne le sont pas moins : fibre de verre, polystyrène, contreplaqué, mousse… On y rencontre même une feuille d’aluminium, une couverture de survie ainsi qu’une cimaise blanche… mobile elle aussi ! Se défaire d’un joug minimaliste tout puissant dans les années 1960 aux États-Unis, en perturbant l’ordre établi et en multipliant les points de vue, voilà l’une des affaires défendues par cette figure totalement libre, grâce à un art dégagé de tout moule idéologique ou formel, et qui aujourd’hui encore affiche une fraîcheur revigorante. Car la liberté chez Breer, c’est bien celle du mouvement donné à son art et à sa sculpture en particulier, grâce à ces déplacements presque invisibles – cette suspension semblable à une délicate apesanteur – qui nécessitent une certaine concentration pour être perçus. À moins qu’ils ne créent la surprise. Ici la sculpture n’est plus cette chose dans laquelle on se cogne en reculant afin de regarder un tableau – pour paraphraser le peintre Ad Reinhardt – mais elle peut potentiellement être une chose qui viendra vous caresser si vous vous trouvez à proximité d’elle lorsque vous contemplez un tableau ! En outre, l’effet de surprise est saisissant lorsqu’il constitue une remise en cause de l’impression de déjà-vu, traditionnellement effectif lors de la visite d’une exposition. Car, comment ne pas douter de vos capacités de perception et de mémorisation lorsque le tableau blanc que vous aviez vu à droite s’est déporté vers la gauche de son mur rayé (Tableau, 1965-2000), ou qu’une sculpture n’est plus là où votre souvenir l’avait laissée quelques minutes auparavant ? 

Pratique expérimentale
Mais revenons au cadre fermant la nef, car vu d’en haut, depuis les coursives qui l’entourent, c’est bel et bien un tableau mouvant qui se révèle au regard. La peinture n’est d’ailleurs pas un domaine inconnu de l’artiste qui l’a longtemps pratiquée, s’inscrivant dès le début des années 1950 dans la perspective de l’art concret avec lequel il prit assez vite des libertés, se dégageant d’un trop strict ordonnancement géométrique pour progressivement laisser flotter la couleur à la surface. En témoigne le dernier tableau de sa série des Peintures absolues, daté de 1965, exposé ici.  Parallèlement, sa réflexion le conduisit vers l’expérimentation cinématographique, et le film d’animation notamment, inspiré aussi par la géométrie. Le tableau composé par ces sculptures flottantes semble en effet lorgner vers le cinéma, grâce à l’amorce de ce mouvement qui, même ténu, induit une réflexion sur la cinématique que l’artiste américain avait déjà mise en œuvre dès les années 1950 en s’adonnant à une pratique expérimentale, où le mouvement et le passage du tableau à l’image animée furent notamment étudiés à l’aide de grands flip books fixés au mur. « J’aime traverser en faisant des allers-retours entre le cinéma et l’image fixe. J’aime traîner l’appartenance de l’un dans le monde de l’autre, et ne jamais être attrapé », est-il possible de lire sous la plume de l’artiste, sur une petite carte exposée dans une vitrine. Avec son travail unique et attachant, Robert Breer a réussi le tour de force de réunir peinture, sculpture et réflexion cinématographique dans un même corpus d’œuvre parfaitement cohérent. On a définitivement envie d’en voir plus !

ROBERT BREER

Commissaire : Alexis Vaillant, responsable du programme artistique du CAPC

Nombre d’œuvres : env. 30

ROBERT BREER. SCULPTURES FLOTTANTES

Jusqu’au 27 février, CAPC – Musée d’art contemporain, Entrepôt, 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, www.capc-bordeaux.fr, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi jusqu’à 20h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Le cinéma en volumes de Robert Breer

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