Spoliation

Sotheby’s tombe le masque

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2011 - 528 mots

L’« auctioneer » a annulé la vente d’un masque pendentif du royaume du Bénin volé par un officier britannique au cours d’une expédition punitive en 1897.

LONDRES - Rarement communiqué fut plus laconique : « Le masque pendentif en ivoire du Bénin et les autres objets confiés par les descendants de Lionel Galway dont Sotheby’s avait annoncé la dispersion au mois de février 2011 ont été retirés de la vente à la demande des vendeurs. » Et subite : ce retrait fut officialisé le 24 décembre, soit deux jours après l’annonce en grande pompe de la vente du masque iconique datant du XVIe siècle et représentant la reine mère du peuple Edo, de l’ancien royaume du Bénin au Nigeria. Estimé 3,5 à 4,5 millions de livres sterling (4,1 à 5,2 millions d’euros), le pendentif avait été confié à Sotheby’s par les héritiers du lieutenant-colonel Henry Lionel Gallwey (changé en Galway en 1913) avec cinq autres objets d’origine royale. En 1897, sir Henry, vice-consul du protectorat de la côte du Niger, a participé à l’expédition punitive menée par l’Amirauté contre la cité du Bénin, au cours de laquelle l’Oba (roi) Ovonramwen fut chassé du pouvoir et son trésor pillé – le militaire en a profité pour se servir avant que les 2 400 pièces, parmi lesquelles les célèbres « Bronzes du Bénin », ne soient dispersées aux enchères à Londres.

La plupart de ces artefacts, dont l’acquisition reste controversée, figurent aujourd’hui dans les collections du British Museum, à Londres. Le masque pendentif en ivoire est le seul des cinq exemplaires connus à être encore en mains privées : il représente Idia, mère d’Isigie devenu Oba en 1504. Élément essentiel de la panoplie royale, il était traditionnellement porté à la taille. En septembre 2009, notre confrère de The Art Newspaper, Martin Bailey, avait annoncé l’éventualité de la vente de cette icône de la culture d’Afrique noire. Il rappelait à cette occasion que le gouvernement nigérien avait formulé, en 1977, une demande de restitution pour un masque similaire, aussitôt rejetée par le British Museum.

À la suite du tollé provoqué par l’annonce de cette vente – un groupe nigerian basé au Royaume-Uni, Nigeria Liberty Forum, a même organisé une pétition en ligne –, elle a sagement été annulée. D’après le Nigerian Tribune, la présidence du pays se dit prête à engager une action auprès des plus hautes autorités britanniques pour obtenir la restitution des objets. La transparence avec laquelle Sotheby’s (maison pourtant précautionneuse, concernant notamment les œuvres spoliées par les nazis) en a décrit la provenance controversée en a choqué plus d’un. Cette attitude est révélatrice d’un phénomène plus général, celui d’un mépris total pour les demandes répétées de restitution du patrimoine d’Afrique noire spolié par les colonisateurs, dont font preuve les musées internationaux. Bénéficiant du soutien des Nations unies, de l’Unesco et de l’ICOM (Conseil international des musées), la famille royale du Bénin, si elle n’a encore jamais emprunté la voie légale, s’est vu refuser, voire ignorer, chacune de ses demandes formelles de restitution. Les héritiers de sir Henry n’ont pas encore fait part de leur intention concernant une restitution éventuelle, ou le don des objets à une institution muséale.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Sotheby’s tombe le masque

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