Les anciens et les modernes

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2011 - 504 mots

Il est étrange de voir à quel point, dans un même monde, les mentalités les plus vétustes coexistent avec les ambitions les plus futuristes.

En 2010, le hiatus entre anciens  et modernes fut d’ailleurs à son comble. L’ère néolithique s’est d’abord rappelée à notre souvenir avec les malversations des commissionnaires et de quelques commissaires-priseurs de Drouot, à Paris, une affaire dévoilée dès décembre 2009, puis confortée tout au long de l’année dernière par une avalanche continue de révélations. L’ancien vaisseau amiral du marché français s’est depuis mu en radeau de la Méduse. Alors que six à dix commissaires-priseurs pourraient être mis en examen, Georges Delettrez, président de Drouot Holding, ne se dépare pas de son autosatisfaction. Agissant autrefois en sourdine, les voix dissidentes n’hésitent plus à hausser le ton. Pour Henry de Danne, délégué général du Symev (Syndicat national des maisons de ventes volontaires), Drouot ressemble désormais à Hibernatus. Pour d’autres, c’est Jurassic Park. Le monde a changé, mais la forteresse délabrée n’en a cure. Le mot d’ordre actuel est celui du service, or la vieille dame n’a toujours pas procédé au ravalement nécessaire. Cette persistance d’un autre temps n’a heureusement pas nui à l’ensemble du marché parisien, notamment aux maisons de ventes les plus dynamiques. Leader parisien, Christie’s France a annoncé un chiffre d’affaires de 176,5 millions d’euros, au coude à coude avec les 175 millions d’euros de sa concurrente Sotheby’s, laquelle a observé une progression de 78 % par rapport à 2009. Avec un total de 102,8 millions d’euros, Artcurial a pour sa part enregistré une hausse de 27,7 %.

Les profondes révolutions auxquelles Drouot est insensible n’ont pourtant cessé de s’accélérer en 2010. Les nouvelles technologies s’imposent désormais aussi bien aux salles de ventes, aux musées (tel le Louvre qui a pu mobiliser, via Internet, les foules pour lever des fonds pour acheter un Cranach, lire p. 8), qu’aux galeries qui viennent de créer une foire virtuelle (lire p. 26). Les pays émergents sont incontournables. Les ventes de Sotheby’s à Hongkong ont totalisé 685,1 millions de dollars (519,3 millions d’euros) en 2010 contre 254,7 millions en 2009. 20 % des acheteurs de Sotheby’s dans le monde se révèlent être chinois. Le poids des acheteurs asiatiques est tel que Christie’s a recruté, l’an dernier, une vingtaine d’employés sinophones pour ses principaux bureaux dans le monde. Combien de cadres ou d’employés à Drouot parlent-ils cette langue désormais incontournable ? La France perd aussi du terrain au Moyen-Orient où elle pourrait pourtant avoir prise. Au Qatar, pays francophile qui a nommé l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin au conseil d’administration du Qatar Museums Authority, la présence institutionnelle hexagonale était inexistante lors de l’inauguration du Mathaf (lire p. 14), à la différence des galeries françaises qui étaient autrement plus présentes. Chantal Crousel, Anne de Villepoix, Nathalie Obadia, Emmanuel Perrotin, Éric Hussenot ou Kamel Mennour étaient ainsi venus soutenir leurs poulains présentés dans l’exposition « Told/Untold/Retold ». C’est sans doute du côté des galeries que se trouve le chemin pour une vraie internationalisation de la France.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Les anciens et les modernes

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