L’actualité vue par

Konstantin Grcic - designer

« Les produits industriels peuvent aussi être beaux »

Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2011 - 1377 mots

Nommé « designer de l’année 2010 » dans le cadre du salon Design Miami, l’Allemand Konstantin Grcic plaide pour la démocratisation des formes.

Le designer allemand Konstantin Grcic (né en 1965) s’inscrit dans une lignée de créateurs tels Marcel Breuer, Dieter Rams, Achille et Pier Giacomo Castiglioni, Naoto Fukasawa et Jasper Morrison. Depuis le lancement de Grcic Industrial Design (KGID) en 1991, les créations de Konstantin Grcic ont été saluées pour la manière originale dont elles redéfinissent la relation entre la forme, la structure et la fonction. Construite à partir d’une série de lames en aluminium, coulées sous vide et enchevêtrées, Chair_One est devenue l’une des pièces phare de Grcic. En 2009, « Decisive Design » , première rétrospective de son œuvre dans un musée américain, s’est tenue à l’Art Institute of Chicago. La même année, il a assuré le commissariat de « Design Real » , première exposition de design à la Serpentine Gallery de Londres. En septembre dernier, Konstantin Grcic a été nommé « designer de l’année 2010 »  dans le cadre du salon Design Miami. Il commente l’actualité. 

Jusqu’à présent, le titre de «  designer de l’année »  avait presque toujours été décerné à des designers et des architectes liés à la mode de « l’art design » , tels Marc Newson, Zaha Hadid ou les frères Campana. Connaissant votre attachement au design industriel, votre nomination à Design Miami vous a-t-elle surpris ? 
J’ai dû vraiment beaucoup réfléchir à la manière dont je voulais apparaître dans le cadre de Design Miami [qui s’est déroulé du 1er au 5 décembre 2010]. Comme tous les derniers designers à recevoir le prix, j’ai été invité à faire deux choses : produire une installation pour un lieu donné et présenter une exposition de mes propres créations. Il était essentiel que mon installation, Netscape, constituée de 24 sièges et d’un réseau de filets qui les relie entre elles pour les tenir au plafond, n’incite personne à vouloir l’acheter. Je voulais faire quelque chose qui fut tellement intransportable et bizarre que personne n’en aurait voulu chez soi ou dans sa collection. Le temps était une autre condition pour ce projet – en tant que designer je pense que les contraintes sont cruciales. Nous n’avons su pour le prix qu’en septembre, et je savais que mon emploi du temps ne permettrait qu’un type de contribution très spécifique. Le budget limité était encore une autre condition. J’ai adoré le fait que, bien que Netscape soit très grand, il ait été envoyé à Miami dans une petite boîte… 

« Design Real » , l’exposition que vous avez préparée pour la Serpentine Gallery en 2009, se lisait comme un rejet opportun du phénomène de l’art design (un revival du design décoratif) qui a pris tellement d’importance ces dernières années. Était-ce votre intention ? 
Oui, jusqu’à un certain point. Mais il ne s’agissait pas de dire qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. En revanche, je voulais que cette exposition rappelle que le design peut être autre chose : des objets produits en masse qui sont utilisés chaque jour. Le discours sur l’art design est tellement centré sur sa beauté… Or, les produits industriels peuvent aussi être beaux. Lorsqu’on le recontextualise dans une galerie, le grand conteneur noir sur lequel s’ouvrait « Design Real »  est une sculpture magnifique. Mais lorsqu’on le voit en service dans les aéroports, on le regarde à peine. C’est ce que je voulais obtenir : montrer à quel point les choses normales deviennent sublimes lorsqu’on les place dans un contexte complètement différent.

Comment était-ce de produire une exposition pour la Serpentine Gallery ? 
J’ai dû me demander ce que je voulais faire – pas seulement sur la création de produits, mais sur la création de produits à la Serpentine Gallery. Certains des objets que j’ai choisis étaient censés être familiers, comme une chaise, une chose que tout le monde possède. D’autres objets l’étaient moins : qui s’est déjà retrouvé nez à nez avec un robot et l’a minutieusement regardé ? En mettant aussi directement des objets face aux visiteurs, les artistes peuvent nous faire affronter des choses que nous n’expérimenterions jamais autrement. Cette approche a quelque chose de très puissant. Dans les musées, le design est trop souvent présenté de manière didactique, pédagogique, avec l’aide de textes explicatifs. La Serpentine m’a permis de montrer des choses sans devoir me justifier. Exposer des objets de manière très immédiate, et ne pas être obligé de dire aux gens ce qu’ils regardent et la manière dont ils devraient le regarder, m’a donné une grande liberté. On demande rarement à un artiste : « Pourquoi votre sculpture est-elle si grande et orange ? »  Alors pourquoi le demander à un designer ? Dans « Design Real » , le robot était ma grande sculpture orange ! 

Mais l’exposition était aussi plus complexe. Une base de données occupait la rotonde de la Serpentine et servait de centrale d’information, permettant aux visiteurs d’en savoir plus sur les origines et les fonctions des objets exposés. Elle était comme le cerveau de l’exposition, se nourrissant des produits exposés dans les autres salles… 
Je trouvais qu’il aurait été trop superficiel de se borner à présenter ces objets comme des choses esthétiques. Ma fascination personnelle pour ceux-ci va bien au-delà. La base de données conférait un second niveau de lecture crucial à la structure de l’exposition. Y donner accès via un site Internet et un Kindle [livre électronique] disponible dans la salle centrale signifiait que la manifestation pouvait aussi avoir une dimension interactive sans pour autant être didactique ou proscrire quoi que ce soit. 

Selon vous, comment exposer le design ? 
J’ai toujours été intéressé par la manière dont on expose le design. Avec les années, j’ai expérimenté nombre d’approches différentes. Mais j’ai toujours essayé d’éviter la plus évidente : placer mes créations sur un socle. Je l’ai fait une seule fois par le passé, pour l’exposition « Small Talk : Konstantin Grcic dialogue avec le Musée des arts décoratifs » , à Paris en 2007. Cette manifestation était intéressante, car j’ai utilisé une série de socles blancs, en mélangeant mon travail avec des pièces provenant de la collection du musée. De cette expérience, j’ai retenu à quel point cela pouvait être efficace. 

La méthode de travail est très importante dans votre cheminement vers le résultat final…
Lorsque j’étais enfant, j’adorais fabriquer des choses. C’est là que tout a commencé. À l’université, et au début de ma carrière lorsque je travaillais pour d’autres sociétés, j’étais souvent celui qui fabriquait les maquettes. Quand je me suis mis à mon compte, ce plaisir de travailler avec les matériaux m’a fait comprendre pourquoi j’aimais les maquettes et les prototypes faits en carton, à la main. C’est toujours le cas aujourd’hui. 

En quoi consiste exactement cette méthode ? 
Au départ, je n’ai qu’une vague idée de ce dont j’ai envie, mais une idée précise de la technologie que je vais utiliser. D’habitude, le choix de cette technologie a été décidé au terme d’un dialogue avec la société avec laquelle je collabore. Les détails sur la nature du design ne font que s’éclaircir une fois que l’on commence à travailler sur les maquettes en carton et à les essayer. Le procédé est sophistiqué et l’on s’y perd parfois. Cela peut être déroutant… Mais en même temps, c’est un procédé que j’apprécie, et c’est important. Aujourd’hui, ce sont mes assistants qui réalisent ces maquettes, mais je tire toujours autant de plaisir à entendre quelqu’un découper du carton et construire quelque chose, à savoir que le côté tactile du procédé est presque toujours à portée de main. 

Quelle exposition vous a-t-elle le plus marqué récemment ? 
Une exposition à Munich, à la Haus der Kunst, sur le collectionneur belge des années 1960 Herman Daled [« Weniger ist meh. Bilder, Objekte, Konzepte aus Sammlung und Archiv von Herman und Nicole Daled, 1966-1978 » , au printemps 2010]. Elle présentait un ensemble exceptionnel d’œuvres par des artistes comme Marcel Broodthaers ou Daniel Buren. Il y avait surtout la correspondance entre Herman Daled et les artistes, des archives témoignant d’un sens de l’authenticité qui n’existe plus. À l’heure où le marché est saturé par l’argent et les artistes obnubilés par leur carrière, cette exposition était une plongée remarquable dans un temps révolu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Konstantin Grcic - designer

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