Relecture

Invitation à la méditation

Tania Mouraud expose au CCC, à Tours, un bel ensemble de ses « Initiation Rooms »

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 14 décembre 2010 - 694 mots

TOURS, PARIS - Au jour du vernissage de son exposition au CCC à Tours, Tania Mouraud semblait presque découvrir les travaux rassemblés.

C’est que le directeur du lieu, Alain Julien-Laferrière, a pris un parti radical pour cette occasion : il a accordé la part belle à des œuvres du tout début de la carrière de l’artiste, quand, au tournant des années 1970, ayant rompu avec une première époque de travail de peinture à travers sa destruction par les flammes, Tania Mouraud conçoit ces environnements.

Réinventant par des chemins personnels et une profondeur qui lui est propre la dimension sensorielle d’espaces architecturaux dévolus à l’expérience intérieure, Tania Mouraud a imaginé ses constructions ambitieuses qui apparaissent aujourd’hui hors temps. Ces espaces physiques entièrement conçus pour la sensation et la capacité de méditation de l’individu se tiennent à mi-chemin entre l’économie minimaliste et une attention portée à la spiritualité individuelle, mais non spiritualiste. Des cellules de méditation qui ne cachent pas leur jeu : dénommées « Initiation Rooms », elles se présentent comme des pièces à éprouver, dans un rapport au volume, à l’atmosphère lumineuse et au son qui les imprègnent. L’initiation proposée consiste avant tout en la recherche d’états de conscience méditatifs. Il y a là aussi, reconnaît l’artiste, un écho à un « orientalisme » de saison chez les « babas » d’hier, une curiosité pour l’Inde que l’artiste cultive encore aujourd’hui. C’est pourtant avec la froideur du plan d’architecture qu’elle dessine sur le papier ses aménagements d’intérieurs d’architectures existantes, ou, concernant les projets extérieurs, ses pavillons voués à devenir des espaces mentaux.  Le parcours de l’exposition s’ouvre avec une première maquette, Initiation Room no 1 (1969), qui propose, en écho à la proposition de l’architecte Claude Parent et sa « fonction oblique », un cube ouvert et penché. L’architecture reste théorique, accompagnée ici d’élévations et de plans tracés d’une sécheresse technicienne. Associant maquettes et plans techniques, l’exposition présente les treize projets développés par l’artiste, lesquels ont connu des destinées diverses. Certaines chambres furent construites, comme One More Night montrée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ou Initiation Room no 5, réalisée à l’initiative de la Caisse des dépôts et consignations et aujourd’hui détruite. Citons encore Initiation Room no 2 dont la matérialisation présentée par la Galerie LP 220 à Turin en 1971 fut l’occasion et le site d’une performance, avec le chanteur indien Pandit Pran Nath associé à Terry Riley et La Monte Young.  

Art et architecture
Une idée plus précise de l’enjeu de ces projets est offerte au visiteur d’« Une pièce en plus » puisque l’Initiation Room no 2 y est reconstruite, ou plus exactement évoquée. Les cotes sont en effet adaptées à l’espace du CCC, et elle est proposée à l’état de maquette. Cependant le visiteur, s’installant dans le volume peint en blanc, cerné par une lumière blanche uniforme et porté par la sonorité d’une fréquence de 200 hertz, peut se faire une idée de l’état méditatif attendu.  Aux œuvres sur plan ou en maquette de 1968-1970, l’exposition associe des œuvres récentes, comme une peinture murale (Nitttsuasu, 2006) et une projection vidéo (Ad infinitum, 2008), qui comporte des images frappantes de baleines en noir et blanc qu’accompagne une bande-son conçue par l’artiste). Ces sauts temporels rendent visible la continuité du travail de l’artiste, dans l’ordre d’une économie formelle plus que des médiums employés. Surtout, si le choix des pièces a une dimension rétrospective, il est frappant de constater combien leur enjeu demeure largement prospectif, à l’heure où le lien de l’art à l’architecture s’est renouvelé, et où la conception environnementale de l’œuvre d’art est répandue. Cette relecture de l’œuvre de Tania Mouraud, sa densité comme son ouverture, se lit aussi dans l’accrochage de ce lieu récemment réaménagé dans le 6e arrondissement parisien, « rueVisconti », et surtout grâce à la publication d’un livre. Soigneusement édité et accompagné d’un texte de Régis Durand, il présente ses pratiques de photographie, des séries en noir et blanc de 1981 aux images picturales et presque abstraites de 2009. De quoi là encore donner sa consistance à l’œuvre de Tania Mouraud.

Une pièce en plus

Commissaire : Alain Julien-Laferrière
Œuvres : 13 environnements sensoriels

Tania Mouraud, Une pièce de plus

Jusqu’au 27 février 2011, CCC, 55, rue Marcel-Tribut, 37000 Tours, tél. 02 47 66 50 00, www.ccc-art.com, du mercredi au dimanche 14h-18h.

Tania Mouraud photographe, jusqu’au 31 décembre, RueVisconti, 17/19, rue Visconti, 75006 Paris, tél. 01 56 81 13 45, du mardi au samedi 13h-20h. Livre Tania Mouraud photographe, éd. RueVisconti, texte de Régis Durand, 184 p., 28 euros, ISBN 978-2-91953100-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Invitation à la méditation

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