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L’art islamique se renforce dans les musées américains

Par Marisa Mazria-Katz · Le Journal des Arts

Le 14 décembre 2010 - 1333 mots

Grâce à des mécènes, les institutions des États-Unis développent leurs collections d’art islamique en ouvrant de nouvelles salles et en multipliant leurs acquisitions.

NEW YORK - Les collections d’art islamique dans les musées américains n’ont jamais reçu autant de soutien de la part des mécènes. Le Metropolitan Museum of Art (Met), qui se targue de détenir la plus importante collection d’art islamique sur le territoire, en est le premier bénéficiaire. Le musée new-yorkais devrait bientôt atteindre son objectif et récolter les 50 millions de dollars (38 millions d’euros) destinés à financer le réaménagement de sa collection dans une quinzaine de salles – un projet qui doit être inauguré à l’automne 2011.

Lors d’une conférence à Londres en octobre, Thomas Campbell, le directeur du musée, a formé le vœu que ces salles puissent aider à approfondir les connaissances sur l’évolution de la culture islamique à un moment où les opinions sur l’islam, à New York, sont très partagées. La date prévue de l’inauguration, un mois après le dixième anniversaire de l’attentat sur le World Trade Center, est lourde de symbole.

Parmi les autres musées américains qui sont parvenus à lever des fonds pour renforcer et réaménager leurs collections d’art islamique, figure le Museum of Fine Arts de Houston (Texas), qui n’a pourtant débuté sa collection qu’en 2007. Le Los Angeles County Museum of Art (Lacma) a doublé ses espaces en 2001 pour y déployer une sélection d’un fonds riche de 1 700 pièces. Et le Detroit Institute of Art a ouvert sa nouvelle salle permanente d’art islamique en mars 2010. Mais, contrairement aux institutions de Paris et Londres, les musées américains n’ont pas réussi à susciter l’attention d’importants mécènes d’Arabie Saoudite. Le Musée du Louvre va pour sa part inaugurer son nouveau département des Arts de l’Islam en 2012, en partie grâce aux 17 millions d’euros alloués par le prince saoudien Al-Walid ben Talal. À Londres, les salles d’art islamique du Victoria & Albert Museum, inaugurées en juillet 2006, ont été intégralement financées par les 5,4 millions de livres sterling (6,4 millions d’euros) alloués par la famille saoudienne Jameel. Aux États-Unis, les mécènes saoudiens sont en revanche généreux envers les universités : en 2005, le prince Al-Walid ben Talal a versé 20 millions de dollars (15 millions d’euros) à l’université de Harvard (Cambridge, Massachusetts) pour financer un programme d’études sur l’Islam ; la même année, le prince faisait don d’une somme identique à l’université de Georgetown (Washington, D.C.), en faveur du Centre pour l’entente islamo-chrétienne. Nombre de personnes sollicitées pour cet article, parmi lesquels des marchands et des conseillers, n’ont pas souhaité s’exprimer sur l’échec relatif des musées américains à attirer de tels mécènes. Ni Harvard ni Georgetown n’ont été troublées par le refus de Rudolph Giuliani, alors maire de New York, d’un don de 10 millions de dollars du prince Al-Walid ben Talal à la ville après le 11-Septembre – le prince avait déclaré que les États-Unis « devaient étudier certaines questions qui ont mené à ces attaques criminelles ». 

Mécènes iraniens et turcs
Au Metropolitan, le plus généreux donateur à l’origine du financement des nouvelles salles d’art islamique, qui incluront une section consacrée à l’art ottoman, n’est autre que l’entrepreneur turc Rahmi Koç ; il a fait don de 10 millions de dollars en 2009, via la Fondation Vehbi-Koç. À la suite de leur don d’un montant supposé de 10 millions de dollars, les mécènes perso-américains Sharmin et Bijan Mossavar-Rahmani verront une salle d’art perse porter leur nom – Bijan Mossavar-Rahmani, un ancien délégué de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, siège au conseil d’administration du musée depuis près de deux ans. Selon Maryam Homayoun-Eisler, collectionneuse et directrice de l’ouvrage Art & Patronage : The Middle East (éd. Thames & Hudson), « beaucoup d’argent a émané de mécènes de nationalité iranienne ou turque, mais il y a eu très peu d’intérêt manifesté du côté des Arabes ». Ce désintérêt serait une conséquence du 11-Septembre. Le mécénat aurait également évolué : « Ces dons sont faits à des espaces qui étaient autrefois regroupés sous l’appellation générale de salles d’art islamique, mais qui sont aujourd’hui définis en termes géographiques comme des salles iraniennes, ottomanes ou des salles des pays arabes. » Le réaménagement et les noms donnés aux espaces du Met soulignent la diversité géographique et ethnique des collections, contrairement aux précédents accrochages thématiques ; elles seront rebaptisées « Galeries des arts des pays arabes, de Turquie, d’Iran, d’Asie centrale et d’Asie du Sud-Est ». Bien que plus modeste, le Brooklyn Museum poursuit sa politique active tournée vers l’art islamique, qu’il s’agisse d’acquisitions ou et de l’organisation d’expositions importantes. Parmi les mécènes les plus actifs, citons le Hagop Kevorkian Fund et Frederick Elghanayan, ancien administrateur du musée et promoteur immobilier né en Iran. Enfin, Detroit abrite la plus importante population arabo-américaine du pays, et le Detroit Institute of Arts a été l’un des premiers à collectionner l’art islamique dans les années 1890 – l’essentiel de la collection de 900 pièces a été acquis entre 1920 et 1940, et l’ensemble a été redéployé dans une nouvelle salle permanente en mars 2010. L’accroissement des acquisitions est la conséquence directe du recrutement du premier conservateur spécialisé en art islamique depuis soixante-dix ans, ainsi que la mise sur pied en 2006 d’un forum d’art islamique et oriental riche de vingt et un membres, dont le président, Ali Moiin, est d’origine iranienne. Depuis sa création, le groupe a déjà levé 1,5 million de dollars. Ces fonds ont permis d’accélérer la réouverture des salles d’art islamique, et de faciliter plusieurs acquisitions, parmi lesquelles un Coran égyptien du XVIe siècle. 

« Présents du Sultan »
En 2011, le Lacma présentera l’exposition « Gifts of the Sultan : the arts of giving at the Islamic courts » (« Présents du sultan : l’art de donner dans les cours islamiques », du 5 juin au 5 septembre). Parmi les mécènes de l’exposition, on recense le Hagop Kevorkian Fund, dont le fondateur est d’ascendance turco-arménienne ; le National Endowment for the Humanities, et Camilla Chandler Frost, administratrice au Lacma. Linda Komaroff, conservatrice pour l’art du Moyen-Orient au Lacma et commissaire de l’exposition, espère que la manifestation accompagnera une évolution de la politique étrangère des États-Unis, laquelle mettrait « en valeur une humanité partagée, plutôt que [des] histoires individuelles ». La majeure partie des dons faits au Lacma provient de bienfaiteurs américains et iraniens. Les dons et les acquisitions ont doublé en nombre à la suite du 11-Septembre, indique Komaroff : « L’intérêt pour ce domaine s’est accru depuis ce jour, et cela a eu un impact sur la générosité des gens. » La plus importante donation faite à la collection provient de Camilla Chandler Frost – en 2002, elle a permis l’acquisition de 750 pièces de la collection Maan Madina, pour un montant supposé d’environ 15 millions de dollars. Linda Komaroff a insisté pour intégrer de l’art contemporain de ces régions dans l’exposition, qui comprendra les œuvres de trois artistes en écho à l’art islamique.

Après Los Angeles, « Gifts of the Sultan » ira en novembre au Museum of Fine Arts de Houston (Texas). Ce dernier a levé plus de 8 millions de dollars depuis qu’il a démarré sa collection d’art islamique, il y a bientôt trois ans. La majorité des membres de ses deux cercles de collectionneurs sont d’origine iranienne, ainsi l’ancien diplomate et philanthrope iranien basé à Houston Hushang Ansary. Sima Ladjevardian, le coprésident perso-américain de l’un de ces cercles, explique que le projet « a été conçu pour montrer cette culture sous une lumière positive ». Les acquisitions récentes pour le compte du musée incluent une table basse de scribe de la dynastie nasride (fin du XVe siècle) et une corne en or (XVIe siècle). « Dans cette partie du monde, nous ne sommes pas représentés dans les musées, et nous pensions qu’il était important d’enseigner l’histoire en ce moment », explique Sima Ladjevardian, ajoutant que l’objectif était de lever 35 millions de dollars au cours des cinq premières années.

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Spectacle de derviche tourneur (2010) - © photo Marisa Mazria Katz pour Le Journal des Arts

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : L’art islamique se renforce dans les musées américains

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