Architecture

Garnier (in)connu

Détentrice d’un important fonds graphique, l’Ensba met à l’honneur l’inventeur du style Napoléon III

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 605 mots

PARIS

PARIS - Avec cette toute première exposition monographique dédiée à Charles Garnier (1825-1898), l’École nationale des beaux-arts (Ensba) de Paris met en exergue l’œuvre de l’un des plus purs produits du système académique, en exhumant de ses réserves son important fonds graphique, en partie restauré pour l’occasion grâce à la Fondation BNP Paribas.

Fils de forgeron, Garnier a suivi un parcours sans faute. Admis à l’École royale des beaux-arts en 1842, il devient Prix de Rome en 1848, à l’âge de 22 ans, décrochant ainsi son sésame pour la prestigieuse Villa Médicis, à Rome, où il séjournera jusqu’en 1854. Comme l’illustrent les croquis exposés au cabinet des dessins Jean-Bonna – en complément de l’exposition principale du Quai Malaquais –, Garnier y a établi un solide réseau d’amitiés et de solidarité avec la génération artistique montante, celle de Paul Baudry ou d’Alexandre Cabanel.  Issus d’un album constitué après la mort de l’architecte par sa veuve – qui a pris le soin d’expurger certaines images moins flatteuses –, ces dessins, parmi lesquels de nombreuses caricatures, constituent la grande découverte de cet événement dédié à Garnier. Ils témoignent de l’esprit de camaraderie des années romaines mais aussi des réseaux mondains tissés par l’architecte au fait de sa gloire, soit autant d’hommes politiques, d’industriels ou d’Académiciens qui n’échappent pas à l’acidité de son trait de crayon. « Carlo l’intrigant, le malin des malins », disait de lui son ami, le peintre Paul Baudry, explicitant ainsi l’une des raisons de l’ascension fulgurante du jeune homme. Car Garnier est devenu célèbre dans le monde entier grâce à un seul bâtiment : l’Opéra de Paris, dont il remporte en 1861 le concours alors qu’il est encore un inconnu. Gouffre financier à la gloire d’un Second Empire déchu avant de pouvoir inaugurer le bâtiment, le nouvel opéra sera la clef de voûte de son art. Soit un éclectisme débridé mâtiné d’une hostilité épidermique à l’avant-garde, dans une architecture qui occulte, sous les ors et les stucs, le recours aux techniques modernes, notamment les structures métalliques. Garnier aurait eu tort de le concevoir autrement : le succès public d’un monument qu’il qualifie lui-même de prototype du « style Second Empire » est immédiat et les places s’arrachent avant même que la programmation ne soit établie. 

« Dieu ou architecte »
Métamorphosés par la scénographie signée Robert Carsen, les espaces d’exposition du quai Malaquais permettent de pénétrer l’univers d’un architecte capable de déclarer : « Il n’y a pas à choisir entre les arts. Il faut être dieu ou architecte. » Évoquant l’atmosphère de l’agence avec ses grandes tables à dessin, la salle basse donne à voir le talent graphique de l’architecte mais aussi son goût pour la couleur, illustré par ses recréations de la polychromie des temples grecs. L’étage accorde ensuite une large place à l’Opéra – trop sans doute –, reléguant dans les coulisses les autres réalisations de Garnier, pourtant mieux connues depuis leur publication, en 2003, par l’historien de l’architecture Jean-Michel Leniaud. L’exposition ne fait aussi qu’évoquer succinctement l’ouvrage manifeste de la pensée de l’architecte, publié en 1892 en collaboration avec Auguste Ammann. Intitulé L’Habitation humaine (1), ce texte s’érige contre l’uniformisation du bâti inhérent à la densification de l’espace et à l’industrialisation des matériaux de construction. Garnier, grand amateur de pittoresque, y revendique au contraire son ancrage dans une tradition académique où le décor dissimule les prouesses constructives, où la composition prime sur la rationalisation des espaces, chère à son principal ennemi, Emmanuel-Eugène Viollet-le-Duc. Celui-là même que les élèves de l’école des beaux-arts ont un jour bouté dehors à l’issue de l’un de ses cours… 

(1) Monum, Éditions du patrimoine, 2003

CHARLES GARNIER UN ARCHITECTE POUR UN EMPIRE
Jusqu’au 9 janvier 2011, École nationale supérieure des beaux-arts, galeries d’exposition, 13, quai Malaquais, 75006 Paris, du mardi au dimanche 13h-19h. Catalogue, 351 p., éditions Beaux-arts de Paris, 35 euros, ISBN 978-2-84056-342-6.

-Commissaire général : Bruno Girveau, chef du département du développement culturel et scientifique,Ensba
-Commissaire : Anne-Marie Garcia, conservatrice, chargée des collections de photographies, Ensba
-Scénographie et direction artistique : Robert Carsen

L’ŒIL ET LA PLUME CARICATURES DE CHARLES GARNIER
Jusqu’au 30 janvier 2011, École nationale supérieure des beaux-arts, cabinet des dessins Jean-Bonna, 14, rue Bonaparte, 75006 Paris, du mardi au dimanche 13h-19h. Catalogue, 119 p., 19 euros, ISBN 978-2-84056-344-0.

-Commissaire : Emmanuelle Brugerolles, conservatrice générale du patrimoine, chargée des collections de dessins, Ensba

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Garnier (in)connu

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