Des musées prêts à tout ?

Ces dernières années, les établissements ont eu tendance à confondre mécénat et « sponsoring ».

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 19 octobre 2010 - 1302 mots

Depuis 2003, faute de hausse de leur budget, les ministres de la Culture successifs se sont transformés en VRP du mécénat culturel. Mais dans le contexte actuel (lire p. 16), cette politique n’est-elle pas en train de montrer ses limites ? Cela alors que les frontières entre mécénat et sponsoring sont toujours aussi ténues, plus de sept ans après la mise en œuvre des lois régissant les avantages fiscaux de ce dispositif.

Champion de la collecte de deniers avec plus de 32 millions d’euros de mécénat déclarés en 2009 (lire l’encadré), le Musée du Louvre n’hésite plus à offrir une visibilité directe à ses généreux donateurs. Plusieurs expositions en ont témoigné : en 2009, l’horloger Breguet s’est ainsi vu consacrer une manifestation relatant l’épopée de cette marque de luxe, qui est aussi « Grand Mécène » du ministère de la Culture… Cette année, le groupe Total a obtenu la présentation d’une exposition consacrée aux trésors archéologiques du royaume d’Arabie Saoudite, État dans lequel le groupe pétrolier est très implanté, et qui soutient par ailleurs la construction du nouveau département des Arts de l’Islam. La formule est rodée : une communication agressive et un propos culturel plus ou moins substantiel. Le grand établissement parisien est toutefois loin d’être le seul à verser dans cette tendance. Le Musée Carnavalet, à Paris, de statut municipal, vient d’inaugurer une exposition pour le moins décalée par rapport à sa vocation de musée de l’histoire de Paris, puisqu’elle est dédiée à l’équipementier Louis Vuitton. Il n’est pas inutile de rappeler ici les liens existants entre le groupe LVMH et l’adjoint à la culture du Maire de Paris, par ailleurs salarié du groupe de luxe. Au Musée du Petit Palais, Samsung s’est fait plaisir avec une exposition dont le groupe sud-coréen est lui-même à l’origine. Le sujet : explorer dans les moindres détails quelques chefs-d’œuvre de la peinture grâce aux merveilles des technologies dernier cri de… Samsung ! Les responsables du musée n’ont pas hésité à parler de « mécénat de compétence » pour justifier cette étonnante vitrine offerte à l’industriel. Le Palais de Tokyo, à Paris, avait déjà, en 2008, organisé une exposition sur le thème de la peau entièrement sponsorisée par Nivea.

Un intérêt pas toujours général
Parallèlement à ses accointances avec quelques groupes industriels, les musées sont tributaires des relations politiques entretenues avec certains États « amis » qui apprécient de bénéficier d’une certaine visibilité dans les lieux culturels de la capitale. Le Qatar s’est ainsi offert en 2009 une exposition de photographies équestres, à l’occasion d’une grande course hippique dont il est le sponsor, sur les cimaises du Musée du Petit Palais. Que dire encore de ces « Années croisées », bras armé de la diplomatie d’influence, dont les finalités sont plus politiques que culturelles, au grand dam de quelques mécènes historiques qui se plaignent de se voir forcer la main pour mettre au pot.

Les esprits pragmatiques diront que les musées n’ont guère le choix, et se voient contraints d’accepter un mélange des genres qui les éloigne de leur mission première. Mais le public est-il vraiment dupe de l’attitude de ces musées décomplexés qui refusent de réduire la voilure quand leurs ressources diminuent ? Étrangement, les chiffres de fréquentation de ces expositions sont rarement disponibles. L’effet peut aussi être parfois dévastateur. À Londres, en juillet dernier, après la marée noire du golfe du Mexique, des manifestants anti-BP ont souillé symboliquement une statue Moaï de l’île de Pâques au British Museum, à Londres. Le musée bénéficiait depuis 1996 du mécénat du groupe pétrolier britannique. La promotion débridée du mécénat possède donc son revers. Que se passera-t-il quand les musées ne seront plus des vitrines suffisamment à la mode pour attirer les sponsors ? La grande mansuétude de l’administration fiscale sur l’appréciation de la notion d’« intérêt général » synonyme de déduction fiscale n’est pas étrangère à cette situation (lire p. 18). Faute de contrôle, les établissements ayant été reconnus éligibles mélangent ensuite allègrement mécénat et sponsoring, dont la frontière se mesure à l’aune des contreparties allouées. Or celles-ci sont devenues le principal argumentaire de « vente » des responsables du mécénat : « visites précédées d’une coupe de champagne » et « opérations de relations publiques de prestige » sont mises en avant par le Musée Jacquemart-André, à Paris, pour séduire les mécènes potentiels.

Mécénat de proximité
Ces changements dans les pratiques soulèvent parfois quelques protestations. Dernièrement, au LaM-Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille-Métropole, à Villeneuve d’Acsq, qui vient de rouvrir ses portes, un dîner de levée de fonds en vue de l’acquisition d’une œuvre de Germaine Richier a été proposé à 250 euros par personne (avec déduction fiscale). Cette opération n’a pas été comprise de tous et a suscité une mini-polémique locale. Ses responsables se sont défendus en citant l’exemple d’initiatives équivalentes au sein des grands musées parisiens où les soirées de fundraising, inspirées des Etats-Unis, sont désormais entrées dans les mœurs.

Dans ce contexte, où mécénat se confond avec communication, la tâche est d’autant plus ardue pour les musées qui développent de véritables projets culturels et ont besoin du soutien de partenaires privés pour les mener à bien. Souvent de moindre taille, ces établissements ne peuvent rivaliser avec les mastodontes parisiens en matière de contreparties. Chaque opération de mécénat requiert donc un investissement de la part du chef d’établissement, voire des tutelles, pour mener sur le terrain un travail de prospective à destination du tissu économique local. Et ce souvent sans pouvoir disposer d’un personnel employé à cet effet. Certains parviennent tout de même à tirer leur épingle du jeu. À l’image de la Piscine de Roubaix qui, avec 322 489 euros de mécénat en 2009, engendrés notamment via son cercle de mécènes, réussit à monter des expositions de qualité, succès de fréquentation à la clé – le musée accueille 200 000 visiteurs annuellement. Les mécènes y sont engagés sur le long terme, au-delà d’un aspect purement événementiel. À Colmar encore, le Musée d’Unterlinden, de statut associatif, pourra financer son agrandissement signé des architectes suisses Herzog & de Meuron grâce au soutien de plusieurs mécènes de proximité. Ces derniers ont apporté les 3,5 millions d’euros manquants (sur un budget total de 28 millions d’euros) à la réalisation du projet destiné à valoriser la collection d’art moderne.

Quelques collectivités locales gestionnaires de musées, comme la Ville de Strasbourg, ont parfois décidé de s’adjoindre des conseillers indépendants qui accompagnent le développement des institutions en élaborant des stratégies de mécénat adaptées. Un travail qui comporte une pluralité d’aspects susceptibles de produire un impact sur le mécénat : image de marque du musée, présence d’un site Internet en plusieurs langues, politique tarifaire… Contrairement au monde formaté de la communication, aucune formule clés en main n’existe donc pour concrétiser des projets de mécénat en faveur des musées. Et si la solution résidait dans une réflexion approfondie, sur le long terme, engageant le mécène pour autre chose que son portefeuille ou sa quête de notoriété ?

Budget annuel de mécénat par établissement

(données issues du classement 2010 des musées établi en juin par Le Journal des Arts) :

- Musée du Louvre : 32 645 881 euros
- Domaine de Versailles : 8 600 000 euros
- Centre Pompidou : 6 563 374 euros
- Musée d’Orsay : 5 261 130 euros
- Les Arts décos : 2 927 800 euros
- Quai Branly : 2 351 602 euros
- Musée des beaux-arts de Lyon : 828 000 euros
- Musée de la chasse (Paris) : 380 000 euros
- Musée de la marine (Paris) : 350 000 euros
- La Piscine (Roubaix) : 322 489 euros
- Palais des beaux-arts de Lille : 231 420 euros
- Musée national du Moyen Âge (Paris) : 206 000 euros
- Musée Guimet (Paris) : 181 171 euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°333 du 22 octobre 2010, avec le titre suivant : Des musées prêts à tout ?

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