Une Russie réussie

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2010 - 693 mots

Le Musée de la Vie romantique à Paris met en avant des artistes monumentaux russes du XIXe siècle peu connus du grand public.

PARIS - L’éclair du Chêne foudroyé (1842) de Maxime Nikiforovitch Vorobiev, interprété comme l’allégorie de la mort de l’épouse de l’artiste par son biographe, dessine une grande balafre qui vient fracturer le tableau en deux. Les éléments s’y déchaînent pour traduire les passions humaines sur les cimaises écarlates. Cette toile magistrale et emphatique sur laquelle plane l’ombre de Friedrich vient clôturer et couronner la promenade à laquelle nous invite le Musée de la Vie romantique, à Paris. Dans le cadre de l’« Année croisée France-Russie », le musée célèbre la Russie romantique à travers les prêts de la Galerie Tretiakov, le musée moscovite conservant les chefs-d’œuvre de son école nationale. Quelques sculptures et un grand nombre de peintures viennent illustrer l’art russe de la première moitié du XIXe siècle, qui s’inscrit au cœur des règnes des tsars Alexandre Ier (1801-1825) et Nicolas Ier (1796-1855). Cette période florissante et peu connue intervient soixante-quinze ans après la mort de Pierre le Grand sur lequel se refermait l’exposition « Sainte Russie » du Musée du Louvre en 2010. Durant cette ellipse, qui s’étend sur tout le XVIIIe siècle, l’art russe prend son essor. La Russie s’est détachée d’un carcan très sévère venant de la mainmise de l’Église orthodoxe sur la création artistique, longtemps incarnée par les seules représentantes d’un art pictural figé : les icônes. Catherine II est aussi passée par là en favorisant l’ouverture sur l’Europe d’un pays longtemps embourbé dans une longue autarcie artistique. Aussi l’art romantique russe apparaît-il comme une véritable explosion après une mise en sommeil prolongée. Ce mouvement s’accompagne d’une mise au diapason des tendances européennes. Les artistes se frottent à une tradition artistique classique, notamment par le biais du voyage en Italie. Le cas de Karl Pavlovitch Brioullov, envoyé à Rome en 1821 par La Société d’encouragement des artistes, est exemplaire.  Morceaux de bravoure L’exposition égrène assez librement une succession de thèmes romantiques communs à l’Europe. L’individu reste au cœur des préoccupations avec un florilège de portraits et d’autoportraits, qui montrent une prédilection pour l’aquarelle. Les œuvres de Petr Federovitch Sokolov apprivoisent notamment aristocrates et têtes couronnées dans l’intimité. Des paysages se font l’illustration des incursions d’artistes en Italie ou mettent en avant la pureté des étendues russes et la violence de leurs reliefs. On observe une très belle correspondance entre littérature et peinture dans La Traversée du Dniepr par Nikolaï Gogol d’Anton Ivanovitch Ivanov. Des scènes de genre font la part belle aux intérieurs, sous le pinceau d’Ivan Fomitch Khroutski qui illustre la vie quotidienne de la classe moyenne russe. Les artistes s’engagent également dans diverses ramifications d’un goût très XIXe : les caravansérails turcs côtoient les scènes courtoises de la peinture troubadour. La grande peinture d’Histoire manque cependant à l’appel, étant représentée par la seule esquisse du Dernier jour de Pompéi, chef-d’œuvre de Brioulov conservé au Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg. Un poète avait ainsi salué l’œuvre, qui fit sensation en Italie en 1833 : « Le dernier jour de Pompéi a été la premier jour de la peinture russe. » La quatrième et dernière salle, réservée aux grands formats, constitue le point d’orgue de l’exposition. Tous les genres s’y mélangent : des morceaux de bravoure paysagers aux portraits officiels. « La Russie romantique » tire tout son crédit des prêts exceptionnels de la Galerie Tretiakov. Le même musée a cependant rédigé un catalogue qui ne vient pas lui rendre justice. Les notices descriptives sont très inégales et loin d’être suffisamment étayées en matière biographique et analytique. Aussi, des informations essentielles font défaut au lecteur pour appréhender un art dont l’exposition lui a révélé l’étendue.

La Russie Romantique à l’époque de Gogol et Pouchkine

Jusqu’au 16 janvier 2011, Musée de la Vie romantique, hôtel Scheffer-Renan, 16, rue Chaptal, 75009 Paris, tél. 01 55 31 95 67, www.paris.fr, du mardi au dimanche 10h-18h. Catalogue, éd. Paris Musées, 207 p., 30 euros, ISBN 978-2-7596-0145-5.

Nombre d’œuvres : 75
Commissariat : Daniel Marchesseau, directeur du Musée de la Vie romantique ; Loudmila Markina, directrice de la Galerie nationale Tretiakov

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°333 du 22 octobre 2010, avec le titre suivant : Une Russie réussie

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