Védutisme

Canaletto pas à pas

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2010 - 710 mots

Le peintre vénitien est habilement confronté à Londres à ses principaux concurrents du XVIIIe siècle.

LONDRES - S’il est un peintre largement représenté dans les collections britanniques, c’est bien Antonio Canal, dit « Canaletto » (1697-1768). S’il passa neuf années en Angleterre, c’est surtout grâce à ses vues de la lagune que le peintre a su séduire les amateurs anglais, touristes fortunés du XVIIIe siècle de passage à Venise à l’occasion de leur Grand Tour. Les vues fourmillantes de détails de la cité des Doges étaient alors les cartes postales de grand luxe que les aristocrates anglais aimaient à accrocher dans leur salon. De fait, cette peinture produite pour l’exportation est aujourd’hui quasiment absente des collections italiennes, les Vénitiens lui ayant préféré à l’époque la verve décorative d’un Tiepolo. Dès lors, quel intérêt y avait-il pour Londres à consacrer une exposition à un peintre déjà bien connu des Britanniques ?  Le parti pris adopté par son commissaire, l’historien de l’art Charles Beddington, spécialiste des védutistes mais aussi marchand d’art installé à quelques pas de la National Gallery – soit un casting audacieux –, démontre rapidement sa pertinence. Plutôt que de proposer une exposition monographique fleuve, celui-ci a opté pour une confrontation du maître avec ses principaux rivaux dans ce genre si particulier du védutisme. Le choix est habile car la rigoureuse sélection opérée par Charles Beddington, portant notamment sur de nombreuses toiles encore en mains privées, permet de mesurer les étapes franchies par Canaletto pour rester maître du marché et terrasser la concurrence. Une explication par la comparaison qui, si elle souffre de l’éclairage artificiel imposé par la configuration des salles d’expositions temporaires de la National Gallery, rend aisément intelligible les subtilités d’un genre commercial prolifique et répétitif.  Verve populaire L’invention du sujet est due à Gaspare Vanvitelli (1652/53-1736), dont l’un des premiers exemples, Le Môle vu du bassin de San Marco (1697, Musée du Prado, Madrid), avec ses vibrations aquatiques, illustre ici le talent de cet artiste formé en Hollande. C’est à partir de ce type de modèle, mais aussi des grandes compositions de Lucas Carlevaris (1663-1730), qui inaugure le thème des fastes vénitiens, que Canaletto, fils d’un décorateur de théâtre, explore une voie plus personnelle. Ses premières toiles, comme Le Canal des mendiants (vers 1723, Musée de la Ca’Rezzonico, Venise), ou Le Chantier du tailleur de pierre (vers 1725, The National Gallery, Londres), sont empreintes d’une verve populaire observée dans les coulisses de la Venise des Doges. Mais son premier rival, Michele Marieschi (1710-1743), artiste à la technique impeccable, l’oblige à repenser sa peinture en adoptant le thème plus prisé des Vedute, la vue panoramique des curiosités de la ville. La confrontation de deux versions d’un même thème, Le Bassin de Saint-Marc, témoigne de l’option prise par Canaletto : celle d’une peinture privilégiant les effets atmosphériques.  Après la mort prématurée de Marieschi, c’est à son jeune et trop brillant neveu, Bernardo Bellotto (1722-1780), entré en 1735 dans son atelier, que Canaletto devra alors s’affronter. La mise en perspective de deux interprétations d’un sujet identique, ici L’Entrée du Grand Canal vers l’est, avec Santa Maria della Salute, permet aisément de prendre la mesure de ces deux sensibilités, Bellotto optant pour une lumière froide plus descriptive. Ce dernier abdiquera dès 1747 en s’exilant à Dresde où il connaîtra une brillante carrière de peintre de cour. Parti à son tour en Angleterre, Canaletto rentre à Venise en 1755 alors que Francesco Guardi (1712-1793) a déjà imposé au genre sa touche plus hardie.  L’exposition – qui bénéficie d’un catalogue traduit en français, soit une première à la National Gallery – s’achève sur une belle séquence illustrant la Torre di Malghera [« la Tour de Malghera »], décrite sous le pinceau de Canaletto, Belloto et Guardi. La version de ce dernier s’éloigne définitivement de la précision descriptive des védutistes au profit d’une atmosphère poétique nouvelle, qui annonce déjà le romantisme.

Venise : Canaletto et ses rivaux

Jusqu’au 16 janvier 2011, The National Gallery, Aile Sainsbury, Trafalgar Square, Londres, tlj 10h-18h, vendredi jusqu’à 21h, www.nationalgallery.org.uk. Catalogue, 192 p., 19,99 livres sterling (environ 23 euros), version française : ISBN 978-1-85709-418-3.

Commissaire : Charles Beddington, historien de l’art et marchand d’art
Coordination : Dawson Carr, conservateur au département des Peintures italiennes et espagnoles, The National Gallery, Londres

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°333 du 22 octobre 2010, avec le titre suivant : Canaletto pas à pas

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