Archéologie

Turquie

Le site antique Allianoi bientôt englouti

Par Emily Sharpe · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2010 - 766 mots

En dépit des injonctions du tribunal administratif d’Izmir et du bureau du conseil d’État, le barrage de Yortanli va être mis en service. Le site antique de la ville thermale d’Allianoi va disparaître sous les flots.

ALLIANOI (TURQUIE) - Il serait déjà trop tard pour sauver la cité antique d’Allianoi en Turquie. Cette ville thermale romaine sera bientôt engloutie sous douze à quinze mètres d’eau. Des ouvriers auraient recouvert de sable le site datant du IIe siècle après J.-C., en vu de la mise en service du barrage de Yortanli, et ce malgré l’injonction du tribunal de suspendre ce projet d’inondation de la région. D’après Ahmet Yaras, l’archéologue qui a dirigé les fouilles à Allianoi et qui s’est imposé comme chef de file dans la lutte pour préserver le site, les ouvriers engagés par la Direction nationale de l’hydraulique ont retiré « les bâches en plastique recouvrant les thermes romains pour protéger la structure contre les intempéries » et ont répandu du sable sur les ruines. Cette nouvelle a provoqué la colère d’organisations de patrimoine culturel, tels Europa Nostra, le Conseil international des monuments et des sites et l’Association européenne des archéologues, qui ont mené campagne pour préserver Allianoi. Le président exécutif d’Europa Nostra, Denis de Kergorlay, a fait appel au Premier ministre turc pour « trouver une solution alternative pour sauver Allianoi et mettre un terme à la destruction en cours du site ». Le projet de construction de ce barrage de 800 mètres de long a été initié dans les années 1980 et les travaux ont débuté en 1998. Une étude archéologique complète du site a été menée une fois le chantier lancé. Les fouilles ont révélé des thermes enfouis, des ponts, des rues, des maisons ornées de mosaïques ainsi que des centaines d’artefacts en verre, en terre et en métal. Construit à 18 kilomètres de l’antique Pergame sous le règne de l’empereur Hadrien (117-138), les scientifiques pensent qu’Allianoi était un important centre de santé où les malades venaient prendre les eaux. La cité fut déclarée « site du patrimoine de premier ordre » par la Région d’Izmir en 2001. 

Devant la Cour européenne des droits de l’Homme
D’après Ahmet Yaras, seul un cinquième du site a été mis au jour avant que les excavations ne soient suspendues, en 2006, sur ordre exprès du gouvernement. L’archéologue a qualifié les actions récentes de la Direction nationale de l’hydraulique d’« illégales », citant des injonctions du tribunal administratif d’Izmir et du bureau du Conseil d’État stipulant l’arrêt du projet d’inondation du site. En 2008, l’ONG Initiative d’Allianoi a porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme. La procédure est toujours en cours. « L’une des raisons pour lesquelles nous attirons l’attention sur la situation tragique d’Allianoi est de s’assurer que cela ne se reproduise pas. C’est le scénario classique d’un gouvernement se lançant dans un projet titanesque sans avoir mené une enquête et une campagne de fouilles du site en temps et en heure, en bonne et due forme et en détail. C’est un cas de «nous l’avons construit, nous avons dépensé beaucoup d’argent et maintenant nous devons nous en servir». Un projet tel que ce barrage repose beaucoup sur le prestige », a déclaré la porte-parole d’Europa Nostra, Laurie Neale.

Orhan Sílíer, l’un des administrateurs de la Fondation Histoire de Turquie et membre du conseil d’Europa Nostra, estime que ces associations pour la protection du patrimoine ne font pas le poids face à ces projets de chantiers générateurs de gros profits, entrepris par les grandes sociétés de construction turques avec le soutien de banques nationales et internationales, mais aussi des pouvoirs politiques. Il considère également la construction de barrages hydroélectriques et de centrales électriques comme l’une des principales menaces pour le patrimoine culturel de la région de la mer Noire, « en particulier en Mésopotamie où les bassins des rivières ont accueilli d’importantes civilisations pendant des millénaires ». Ajoutant que d’autres villes ont été inondées à la suite de ce type de construction, à l’image de Samsat (Samosate), engloutie sous les eaux du barrage Atatürk en 1989. Dans la partie sud-est du pays, la colonie d’Hasankeyf, vieille de 10 000 ans, fait face à une menace identique avec l’érection du barrage controversé d’Ilisu. Laurie Neale souligne enfin qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème turc : « Il y a beaucoup de grands projets de développement dans d’autres parties de l’Europe et du monde qui menacent la sauvegarde de sites importants comme Allianoi. » Le ministère turc de la Culture et la Direction nationale de l’hydraulique n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Le site antique Allianoi bientôt englouti

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