De la nature à la nature

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2010 - 766 mots

Le Musée Rodin s’apprête à accueillir une rétrospective de l’œuvre d’Henry Moore. L’événement est organisé grâce au concours de la fondation créée par le sculpteur britannique en 1977.

Les moutons de Versailles ont toutes les raisons d’être jaloux. Aussi privilégiés soient-ils par la vue qu’ils ont sur le château de Louis XIV, le Grand et le Petit Trianon, le domaine de Marie-Antoinette, ces bêtes sont cantonnées dans un enclos autour duquel défilent des millions de touristes et promeneurs à pied, à vélo, en voiturette de golf, en petit train et même en Segway. Leurs cousins anglais de la bourgade de Perry Green, située au nord de Londres, jouissent non seulement d’une paix royale, mais ont pour égayer leur enclos plusieurs sculptures monumentales : Large Reclining Figure (1984) se découpe sur une petite butte à l’horizon, la bien nommée Sheep Piece (1971-1972) arbore une patine particulière à l’endroit où les animaux ont frotté leurs manteaux de laine, tandis que l’imposante Large Upright Internal/External Form (1981-1982) domine la scène. Le tout « courtesy of Henry Moore », propriétaire historique des lieux. Le concept peut paraître surréaliste, mais dit bien ce rapport de proximité avec la nature entretenu par l’artiste. Henry Moore trouvait en effet son inspiration à ses pieds, en ramassant au fil de ses promenades des cailloux polis, des silex, des coquillages ou des ossements enfouis dans les plaines au riche passé agraire… Autant de formes organiques à partir desquelles il extrapolait, avec une attention particulière pour l’articulation, l’imbrication harmonieuse de différentes pièces. C’est en toute logique que ses œuvres monumentales sont venues ponctuer les prés de Perry Green, modeste hameau devenu résidence principale du couple Moore en 1940 après que les bombardements ennemis eurent touché leur demeure londonienne.

Secrets de fabrication
Au fil des ans, les époux ont racheté les bâtiments environnants, créant un véritable domaine constitué des différentes granges et autres hangars reconvertis en ateliers – pour l’inspiration première du modelage ; pour l’agrandissement à l’échelle des sculptures ; pour le découpage des modèles en polystyrène ; pour le dessin et les estampes…

À l’instigation du sculpteur, le domaine a été reconverti en fondation en 1977. Depuis son décès en 1986, une association caritative poursuit son travail de promotion du patrimoine de Moore, tout en multipliant les actions de mécénat artistique. La propriété a depuis été ouverte au public. C’est cette histoire et cette atmosphère que le Musée Rodin souhaite évoquer dans sa grande rétrospective consacrée au sculpteur et prévue cet automne dans les espaces de son ancienne chapelle. Si Moore est un habitué des lieux, notamment pour y avoir eu l’honneur de deux expositions monographiques en 1961 et 1971, l’événement parisien a ceci d’exceptionnel qu’il a intégralement été monté grâce aux prêts de la fondation.

Mijoté à feu doux pendant plusieurs années entre les deux institutions et réalisé en un temps record, le projet révèle l’intimité du sculpteur, et s’immisce dans ses secrets de fabrication. L’occasion de découvrir Henry Moore le dessinateur, à travers une cinquantaine de feuilles préparatoires, et surtout ses croquis des Londoniens réfugiés dans le métro durant le Blitz. On appréciera de même le Moore touche-à-tout, avec un ensemble de statuettes en plâtre et un échantillon de ses divers trophées de promenade, et bien évidemment les grands formats. « Aussi abstraites soient-elles, ses sculptures prennent toujours leurs racines dans la nature », rappelle Anita Feldman, conservatrice à Perry Green. Mais aussi dans le classicisme grec, le statuaire précolombien, et chez des contemporains comme Alberto Giacometti et Pablo Picasso.

Nonobstant l’absence des moutons des Lalanne en forme de clin d’œil, deux sculptures monumentales en fibre de verre viendront s’ancrer dans la cour de l’hôtel Biron, L’Arche (1969) et Locking Piece (1963-1964). Pour mieux observer le décalage entre le travail architectural et organique de Moore et le geste ambitieux et baroque de Rodin avec sa Porte de l’Enfer. Et de cet échange fructueux de part et d’autre de la Manche devrait sans doute émerger une prochaine visite de Rodin dans les prés moutonneux de Perry Green.

HENRY MOORE, L’ATELIER

Du 15 octobre 2010 au 27 février 2011, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, tlj sauf lundi 10h-17h45, www.musee-rodin.fr. Catalogue à paraître, coéd. Musée Rodin/Hazan, 216 p., env. 300 ill. couleur, 35 euros.
THE HENRY MOORE FOUNDATION, Perry Green, Much Hadham, Hertfordshire, Royaume-Uni, tél. 44 127 984 3333, www.henry-moore.org

Commissariat : Hélène Pinet, responsable des archives, de la documentation, de la bibliothèque, de la recherche et responsable scientifique de la collection photographique du Musée Rodin ; Anita Feldman, responsable des collections et des expositions de la Fondation Henry Moore

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : De la nature à la nature

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