Art moderne

Rétrospective

Maximilien Luce en trompe-l’œil

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 21 septembre 2010 - 787 mots

GIVERNY

Le Musée des impressionnismes à Giverny propose un survol de l’œuvre de Maximilien Luce, peintre néo-impressionniste aux fortes convictions sociales.

GIVERNY - « C’est peut-être pour n’avoir voulu être qu’un artisan, comme son voisin ébéniste ou serrurier, incapable de tromperie sur la marchandise vendue, que Luce ne connut ni la fortune ni les honneurs, qu’il eût d’ailleurs considérés comme une déchéance », estime le critique d’art George Besson au sujet de son ami Maximilien Luce (1858-1941).  Proche de Camille Pissarro et de Paul Signac, Luce a beau s’être inscrit dans le sillage du divisionnisme en suivant – librement – la méthode Seurat, et avoir signé des chefs-d’œuvre du paysage néo-impressionniste, rare aura été l’occasion d’admirer tous les aspects (ou presque) de son œuvre, comme c’est le cas aujourd’hui au Musée des impressionnismes à Giverny (Eure). Sa période néo-, dont le niveau de perfection est atteint dans la première moitié des années 1890, est en effet la plus connue car elle a donné naissance à des bijoux de vues crépusculaires – Le Louvre et le pont du Carrousel. Effet de nuit, 1890 ; Quai à Camaret, Finistère, 1894.

À force de ne considérer que cet aspect de son œuvre, on a tendance à oublier que les origines modestes de Maximilien Luce, dont le talent de dessinateur le destinait à la gravure, ont été déterminantes pour son engagement politique ; il était, comme ses amis Signac, Pissarro, [Félix] Fénéon, [Henry] Van de Velde et [Émile] Verhaeren, un anarchiste convaincu. Luce se sentait proche du monde ouvrier et des petites gens dont son premier chef-d’œuvre, La Toilette (1887), illustre avec brio la vie quotidienne. Ainsi sa découverte du puissant paysage industriel qu’est devenu Charleroi en 1895 fut un choc esthétique : bien avant Bernd et Hilla Becher, Luce est parvenu à distinguer la beauté de cette « architecture de fer et de feu ». Abandonnant la technique pointilliste appliquée avec soin, Luce s’est laissé aller à un style plus rapide et plus franc mais tout aussi chatoyant. Plus tard, ce sont les réminiscences de la guerre de 1870 et les souffrances des poilus qui seront source d’inspiration pour des compositions historiques ambitieuses.

Récit tronqué
Si l’exposition de Giverny aborde ces trois volets (portraits et paysages, monde ouvrier, tableaux de guerre) en toute clarté, par le biais d’un ensemble équilibré de tableaux pour certains splendides, le parcours pèche cependant par endroits. Ainsi la (modeste) section réservée aux œuvres sur papier apparaît comme un fourre-tout où l’on trouve des portraits intimistes mêlés à des dessins préparatoires, des paysages et des illustrations pour pamphlets militants. Le tout sans précision aucune. Signalons à ce propos le décalage sérieux entre le contenu du catalogue de l’exposition et les explications fournies au visiteur sur les cimaises. Luce n’a pas tout à fait le même visage d’un support à l’autre. À titre d’exemple, l’épisode de son emprisonnement à Mazas en juillet 1894 est mentionné en passant dans la biographie sommaire affichée dans la deuxième salle du parcours. Au visiteur de se reporter au catalogue, qui rappelle le climat délétère qui suivit l’assassinat du président Sadi Carnot et renseigne sur les « convictions anarchistes que Luce partageaient avec l’ensemble de ses amis » à l’origine de cette arrestation. Le mot « anarchiste » n’apparaît nulle part sur les cimaises. La commissaire, Marina Ferretti Bocquillon, aborde pourtant sans ambages cette facette du personnage dans l’essai qu’elle publie dans le catalogue – fourmillant d’informations précieuses mais construit de manière étonnement confuse. Elle ajoute que Luce ne peint « ni grève ni coup de grisou », qu’il aspirait plus à définir une esthétique révolutionnaire qu’il ne cédait à la propagande, et qu’il préférait dénoncer le drame social via l’illustration. Pourquoi, alors, la vitrine présentant le travail d’illustration pour des publications engagées telles Le Père peinard ou La Vache à lait n’offre-t-elle aucune précision sur ces collaborations ?

Certes, l’exposition organisée en 2005 au Musée-Abbaye Saint-Germain à Auxerre (Yonne) détaillait ce thème de l’engagement politique, et la dernière salle du parcours à Giverny, sur les tableaux de guerre, signale que Luce « souhaitait l’instauration d’un équilibre social plus juste ». Mais l’impression d’un récit tronqué subsiste. Le musée ménage-t-il ses (nombreux) visiteurs américains dont la culture ultralibérale, on le sait, n’est pas friande de la glorification ouvrière, mais est bien plus réceptive au patriotisme et à l’héroïsme de guerre ?

MAXIMILIEN LUCE, NÉO-IMPRESSIONNISTE. RÉTROSPECTIVE

Jusqu’au 31 octobre, Musée des impressionnismes, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny, tél. 02 32 51 94 65, www.mdig.fr, tlj 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée des impressionnismes/Silvana Editoriale, 144 p., ISBN 9-788-836-61776-0, 29 euros.

MAXIMILIEN LUCE
Commissaire : Marina Ferretti Bocquillon, directrice scientifique et conservatrice du musée
Nombre d’œuvres : 75 (54 huiles sur toile et 21 œuvres sur papier)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : Maximilien Luce en trompe-l’œil

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