Paris

La photographie ouvre le Bal

Un nouveau lieu consacré à l’image-document s’installe dans le 18e arrondissement

Le Journal des Arts

Le 21 septembre 2010 - 777 mots

Le Bal vient d’ouvrir ses portes à deux pas de la place de Clichy, à Paris. Créé et dirigé par Diane Dufour, ex-directrice de l’agence Magnum, présidé par le photographe Raymond Depardon, ce nouveau site dédié à l’image-document offre un éventail d’activités où expositions riment avec débats et programmes pédagogiques.

PARIS - Deux salles d’exposition totalisant 350 mètres carrés plus une librairie et un café design réveillent une guinguette Art déco oubliée au nord de Paris. À deux pas de la place de Clichy, Le Bal, lieu dédié à l’image-document, ouvre ses portes le 18 septembre.  « Le Bal est un puzzle, un espace de défricheurs pour interroger ce que peut dire l’image aujourd’hui alors que la surabondance actuelle qui alimente la société du spectacle brouille le message », expose Diane Dufour, sa directrice. En 2007, la directrice de l’agence Magnum, démissionne pour créer le Bal, que préside le reporter Raymond Depardon. Dans l’ambitieux programme du Bal, les expositions explorent les formes plurielles du documentaire dans les arts visuels ; le « Bal Lab », associé à de grandes écoles, débat des statuts de l’image-document ; « l’Anti-Collection » édite des livres d’artistes. Depuis 2008, « La fabrique du regard » en lien avec la Fondation « Culture et Diversité », a déjà formé 4 000 lycéens à décrypter les images contemporaines. Des performances et des vidéos glanées sur Internet complètent une étude du réel tronquée par l’exclusion de l’audiovisuel. Consensuel, le Bal, doté d’un budget de programmation de 900 000 euros en 2010, bénéficie d’un montage financier mixte associant partenaires publics (dont le conseil régional d’Île-de-France, les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale) et privés (notamment Alcatel-Lucent ; BNP Paribas ; Vinci ; Suez Environnement ; SFR). Porté par l’association Les amis de Magnum, le projet a nécessité trois ans de travaux de rénovation évalués à 2,3 millions d’euros venant en partie de clubs de collectionneurs privés et d’entreprises mécènes.  Partenaire principal, la Ville de Paris, qui a acquis les murs et contribué à ce chantier à hauteur de 1 million d’euros, va allouer une subvention annuelle supérieure à 20 000 euros. Cet engagement fort surprend alors que la Ville soutient déjà la MEP (Maison européenne de la photographie). Au printemps 2011, un parcours festif à travers le 18e arrondissement métis devrait fédérer un « pôle image » autour du Bal. « La Ville se devait de soutenir ce projet culturel […] dans ce quartier populaire en pleine mutation. Par toutes ses formes d’expression de l’image permettant au citoyen de comprendre le monde dans lequel il vit […], le Bal apporte la bonne réponse dans une période de remise en cause des valeurs. Ce lieu dédié à l’image sous-entend aussi l’idée d’un regard engagé », explique Christophe Girard, adjoint chargé de la culture à la Mairie de Paris. 

Protestation sociale
Scrutant la vie de la cité, l’exposition inaugurale « Anonymes, l’Amérique sans nom : photographie et cinéma » réunit dix écritures américaines du documentaire subtilement politiques. « Les notions d’accomplissement individuel et d’anonymat ont été les cadeaux jumeaux de l’Amérique à la culture visuelle mondiale. Sans apologie ni stigmatisation, le Bal veut rendre compte de leurs tensions », indique Diane Dufour, sa co-commissaire avec David Campany.

Dans la veine critique de Robert Frank, les récits délibérément ambigus de Walker Evans sur les ouvriers de Détroit dans les années 1940-1950 bousculent les conventions du genre. Jamais montrés en Europe, les portraits intimistes, en forme de protestation sociale, de travailleurs à la fin des années 1960 vus par Chauncey Hare, ingénieur à la Standard Oil, dénoncent les conséquences physiques et psychologiques de l’ère industrielle. Peu vu, le film expérimental Necrology (1971) de Standish Lawder, hommage appuyé au Faust de Murnau, noircit l’âme d’anonymes au vécu imaginaire. Tournée dans un chantier déshumanisé de l’US Navy, l’oppressante vidéo Lunch Break (2008) de Sharon Lockhart, un travelling au ralenti le long d’une travée sans fin à l’heure de la pause, est confrontée à la notion du « presque documentaire » de Jeff Wall. Ce dernier montre à travers Men Waiting (2006) de vrais journaliers déplacés dans un décor à la narration suspendue. À leurs côtés, Doug Rickard s’approprie des photographies de passants floutées par « Google Street View ». Ces exemples probants appellent l’étude d’une réalité contemporaine mêlant des images mercantiles de pseudos-« people » et des clichés tirés d’albums intimes divulgués sur Facebook et autres réseaux sociaux planétaires visant à sortir de l’anonymat.

Le Bal, 6, imp. de la Défense, 75018 Paris, tél. 01 44 70 75 50, mer.-sam. 12h-20h, jeu. 12h-22h, dim. 10h-19h, www.le-bal.fr. Jusqu’au 19 décembre, « Anonymes, l’Amérique sans nom : photographie et cinéma ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : La photographie ouvre le Bal

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