Art déco

Art déco

La laque Art déco au pinacle

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 984 mots

Meubles et objets en laque Art déco restent synonymes de luxe et de préciosité. La rareté, associée à l’apparition de nouveaux collectionneurs, en a dopé les prix.

« Dans le vocabulaire de l’Art déco, il y a quelques mots à retenir : galuchat, macassar et… laque. » Cette affirmation du spécialiste Jean-Marcel Camard confirme l’aura des pièces en laque dans les années 1930. « Une des plus belles qualités de la laque, ce qui la différencie de tous les produits d’imitation, c’est la profondeur de sa matière ; le regard, ne s’arrêtant pas sur l’aspect poli de la surface, pénètre au sein de l’épaisseur des couches superposées où joue, par transparence, la lumière sans jamais être réfléchie véritablement », souligne pour sa part Félix Marcilhac dans Jean Dunand, vie et œuvre (Éditions de l’Amateur, 1991).

Sève résineuse extraite d’un arbre poussant en Asie, la laque naît en Chine avant d’être importée au VIe siècle au Japon. Les laqueurs nippons poussèrent la virtuosité à un niveau qui séduisit les ébénistes parisiens aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les Français s’échinent alors à percer le secret de la laque, mais n’aboutissent qu’à une pâle version, le « vernis Martin ». Plus d’un siècle plus tard, les objets en laque exposés dans le pavillon nippon lors de l’Exposition universelle de 1900 font sensation. Le japonisme bat son plein. Membre de la délégation japonaise, Seizo Sugawara décide d’ouvrir un atelier à Paris. Il comptera d’emblée parmi ses élèves Eileen Gray puis Jean Dunand. Ces deux créateurs dépassent de plusieurs coudées les autres laqueurs, comme Paul Étienne Saïn ou Pierre Bobot. Ces derniers seront souvent peu inventifs sur le plan du dessin et plutôt kitsch en termes d’inspiration. « Ce sont de bons praticiens, mais pas des artistes », souligne Jean-Marcel Camard.

Comment ces meubles sont-ils perçus aujourd’hui ? A priori, la préciosité du matériau ne devrait pas correspondre au goût actuel pour l’épure moderne et industrielle. Mais le renouvellement depuis dix ans de la clientèle Art déco a donné une seconde vie à ces objets. « On trouve dans les meubles Art déco en laque une forme géométrique alliée à un matériau chaleureux et somptueux à la fois, indique Cécile Verdier, spécialiste de Sotheby’s. Par ailleurs, la laque se marie bien avec le mobilier ancien, et l’on sent qu’elle peut être un viatique pour les collectionneurs d’art ancien qui commenceraient à acheter de l’Art déco. » Depuis la vente Bergé-Saint Laurent chez Christie’s [en février 2009], la laque est définitivement associée au luxe. Un luxe qui vaut son pesant d’or, comme en témoignent les prix faramineux décrochés alors par Eileen Gray. Son enfilade s’est adjugée 3,9 millions d’euros, tandis que le fauteuil aux dragons est parti pour la somme colossale de 21,9 millions d’euros.

Pièces mythiques
Bien que cette créatrice ait produit très peu de pièces et que son nom soit davantage associé au courant moderne, ses meubles en laque sont très recherchés. « Même si elle a renié cette production après sa rencontre avec Jean Badovici, les pièces en laque d’Eileen Gray sont mythiques car elle n’a travaillé que pour quelques clients comme Jeanne Tachard et Jacques Doucet », explique Jean-Marcel Camard. Son paravent Le Destin, cédé pour 170 000 francs dans la vente Doucet, s’est retrouvé en 2000 sur le stand de la galerie Vallois à la Biennale des antiquaires. On y retrouvait aussi une table décorée de courses de char, également réalisée pour Doucet. Celle-ci s’était vendue en 1992 à hauteur de 1,1 million de francs chez Deurbergue.

La hausse des prix pour Dunand et Gray a aussi hissé ceux de plus petits maîtres comme Gaston Suisse. « Certaines tables de Gaston Suisse, qu’on aurait autrefois estimées à 10 000-20 000 euros, ont pu atteindre les 200 000 euros, souligne Cécile Verdier. C’est un créateur dont on ne connaissait que les panneaux avec les animaux ; au fur et à mesure que son marché s’est constitué, on a vu apparaître de nouvelles choses. » Bien que laqueur d’exception, Katsu Hamanaka n’a pas produit assez de pièces pour nourrir un marché. Un panneau laqué à la feuille d’or s’est toutefois adjugé 98 000 euros en 2006 dans la vente Dray chez Christie’s. Si les petites tables restent prisées, les objets moins aisés à caser dans un intérieur trouvent plus difficilement preneur.

Anne Midavaine, restauratrice à Paris

Pourquoi la laque attire-t-elle les collectionneurs ?
La laque, c’est sensuel, on a envie de la toucher, de la caresser. Ce n’est jamais froid ni chaud, cela a un côté enrobé. Il y a un aspect tactile, mais aussi une dimension visuelle, car avec ses différentes couches la laque offre une profondeur au regard.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez pour la restauration de la laque ?
La grande difficulté, c’est d’obtenir un noir aussi dense que celui des laqueurs Art déco, car aujourd’hui nous sommes limités au niveau des produits chimiques. Mais la difficulté majeure est liée à la métallisation. La feuille d’argent s’oxyde entre les vernis. Il faut accepter que la restauration ne soit pas parfaite. Il est aussi compliqué d’identifier le type de laque. Mais il n’y a pas deux laques qui se ressemblent. Chaque atelier avait sa propre « culture » et faisait sa propre cuisine, avec notamment des apprêts différents. C’est un vrai casse-tête. Selon les nationalités des collectionneurs, les exigences varient aussi. Les Américains veulent une laque ancienne mais dans un état neuf. Ma philosophie est de garder au maximum la laque d’origine. Mais le problème de ce matériau, c’est que l’on ne peut pas rajouter par-dessus l’existant. Quand il y a un grand manque, il faut refaire.

Comment faut-il conserver les objets en laque ?
La laque vieillit bien. Le problème, c’est que certains veulent une table en laque pour l’utiliser comme du Formica. Ce n’est pas possible. La laque n’aime pas les chocs physiques ou thermiques, pas plus que le soleil.

Jean Dunand, maître laqueur

Composé de pièces exceptionnelles et souvent rares du dinandier et laqueur Jean Dunand, le stand de la galerie Vallois (Paris) promet d’être l’un des clous de la Biennale des antiquaires. Maître dans l’art de manier le métal, ce créateur s’initie en 1912 à la laque avec un artiste japonais, Seizo Sugawara. Il en expérimente tous les subtilités, grave, arrache, et surtout incruste de coquilles d’œuf de poule ou de cane broyée. Il laque d’abord ses vases, avant de créer aussi bien des paravents, tables, sièges ou coffrets. Ses panneaux orneront les paquebots L’Atlantique et Normandie.

Une commode inédite en laque vert métallisée est l’une des pièces phares du stand des Vallois. Dunand s’adonne tantôt à des décors géométriques, tantôt à des motifs naturalistes. Ce créateur a toujours été une valeur sûre de l’Art déco. « En 1970, on vendait [Jacques Émile] Ruhlmann et Dunand. C’étaient les deux seuls noms figurant dans les documents de l’époque », rappelle Cheska Vallois. En 1997, le collectionneur Claude Dray achète pour 2 millions de francs chez Ricqlès un ensemble de panneaux réalisés pour le fumoir de Mme Aboucaya. Il les confie par la suite au marchand Jean-Jacques Dutko, lequel les présentera à la Biennale des antiquaires avant de les vendre au château de Gourdon (Alpes-Maritimes). Les prix iront crescendo, comme en atteste le record de 3 millions d’euros pour une paire de vases en dinanderie laquée issue de la collection Bergé-Saint Laurent. Même si le goût actuel semble plus porté vers les motifs géométriques, des pièces naturalistes plutôt tartignolles trouvent preneur. Artcurial a ainsi vendu le 8 juin à la surprise générale pour 372 000 euros un immense paravent à décor de vol de canards colvert.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : La laque Art déco au pinacle

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