Japon

L’art dans les îles

Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 762 mots

Le premier festival d’art contemporain de Setouchi mêle les œuvres actuelles aux décors ancestraux.

TAKAMATSU (JAPON) - Les musées du groupe Benesse sur l’île de Naoshima, réputés pour leurs bâtiments de l’architecte Tadao Ando et leurs collections d’art contemporain, ont lancé un nouveau défi. En collaboration avec le département de Kagawa, ils organisent, jusqu’au 31 octobre, le Setouchi International Art Festival, le festival d’art contemporain de Setouchi. Ce projet est un vrai défi puisque Benesse, groupe du secteur privé, travaille main dans la main avec les autorités publiques locales pour promouvoir une région, celle de Setouchi.

Setouchi signifie en japonais la mer intérieure. Cette mer enserrée entre deux terres, comme la Méditerranée en Europe, a été l’artère principale des bateaux allant en Chine, depuis l’époque de la dynastie Tang jusqu’à celle des paquebots des Messageries maritimes. Elle a également été l’un des centres du modernisme industriel du Japon. Déployé sur sept îles et la ville de Takamatsu, chef-lieu du département, le festival présente 75 artistes de 17 pays et régions, sans compter le spectacle vivant et le théâtre. Le projet a commencé il y a une dizaine d’années. Le commissariat général est assuré par Fram Kitagawa, qui est aussi le directeur général de la Triennale d’Echigo-Tsumari. Selon lui, le travail fondamental a été constitué par d’incessantes discussions avec les habitants, notamment avec les pêcheurs, vrais détenteurs du droit de pêche et personnes symboliques de la région. Parmi les artistes invités, Christian Boltanski présente son œuvre Les Archives du cœur, célébrée par un prêtre shintoïste de l’île de Teshima le jour de l’ouverture. Sur une plage de sable fin est installé un bâtiment couvert de planches brûlées de pin japonais, construction traditionnelle de la région. En y entrant, dans l’obscurité, le visiteur entend les battements de cœur collectés par l’artiste. « J’espère que, comme un pèlerinage, les visiteurs viendront les écouter jusqu’à cet endroit isolé. Quand la Grèce et la mer Égée sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui, j’ai découvert cet endroit », nous a déclaré l’artiste. 

Une utilité retrouvée pour des bâtiments obsolètes
Toujours sur l’île de Teshima, Olafur Eliasson a installé une douche fine dans l’obscurité. Elle est réalisée dans un bâtiment en torchis épais, utilisé autrefois comme réserve pour des trésors familiaux. Son propriétaire est d’ailleurs ravi que sa propriété, obsolète, ait retrouvé une utilité grâce à l’art contemporain. Tadashi Kawamata, quant à lui, a réalisé une île flottante composée de planches de bois, Make Island from Island, dans le détroit entre Naoshima et Mukaijima. Au sommet de Megijima, une petite île de moins de deux cents habitants, Rolf Julius a créé l’installation Green Music à côté d’une grotte. Entourés par une nature couverte de bambous et de lianes, les visiteurs écoutent, au milieu des chants de cigales et d’oiseaux, les sons captés par l’artiste autour de l’île. L’ambiance des sites du festival fait penser à Daphnis et Chloé, roman grec antique où les personnages sont protégés par les bonnes volontés de dieux locaux. Parce que le festival de Setouchi a non seulement une dimension artistique, mais aussi politique, touristique, environnementale, voire même humanitaire. Sur l’île de Teshima, pendant les glorieuses années de l’économie japonaise, 560 000 tonnes de déchets industriels ont été sauvagement entreposées. Actuellement, les pouvoirs locaux essaient d’assainir l’île, y compris son image grâce à l’art.

L’île d’Oshima a une histoire dramatique. D’anciennes politiques sanitaires ont conduit à y regrouper les victimes de la lèpre. Un groupe de l’université d’arts plastiques de Nagoya travaille sur place en tenant compte de cette tragédie. L’île d’Inujima avait la réputation d’abriter la meilleure carrière de granit depuis l’époque des samouraïs, et, dans les années 1910, une raffinerie du cuivre y fonctionnait à plein régime. Aujourd’hui, la population a été divisée par cinquante, comme partout dans les îles voisines. En réaction, Soichiro Fukutake, patron du groupe Benesse, a lancé le « Ié Project » avec Kazuyo Sejima, lauréate du prix Pritzker 2010 (lire ci-contre). Ce projet consiste à construire des bâtiments ou aménager de vieilles maisons traditionnelles, tout en respectant l’aspect du quartier, pour y mettre en permanence des œuvres d’art. Tadanori Yokoo, Mariko Mori, Leandro Erlich, James Darling & Lesley Forwood, Rei Naito, Lee Ufan, Hiroshi Sugimoto, James Turrell, Yukinori Yanagi, tels sont quelques-uns des artistes y ayant réalisé des œuvres permanentes et temporaires. En cas de réussite du Setouchi International Art Festival cette année, une nouvelle édition devrait voir le jour dans trois ans.

SETOUCHI INTERNATIONAL ART FESTIVAL, jusqu’au 31 octobre, divers lieux : Naoshima, Teshima, Megijima, Ogijima, Shodoshima, Oshima, Inujima, ports de Takamatsu et d’Uno. Rens. : setouchi-artfest.jp/en

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : L’art dans les îles

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