Collection - Profession

RÉCOLEMENT

Récoleur

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2010 - 845 mots

Cherchant à localiser les dépôts d’œuvres, les professionnels du récolement écrivent l’histoire oubliée des collections.

Mission de récolement au Musée des beaux-arts et d'archéologie, Châlons-en-Champagne. Photo : Musée du Louvre, SRDAI.
Mission de récolement au Musée des beaux-arts et d'archéologie, Châlons-en-Champagne.
© Musée du Louvre, SRDAI.

« Entre nous, nous utilisons parfois le terme de récoleur, admet Yannick Lintz, chef du service de récolement des dépôts antiques et des arts de l’Islam du Musée du Louvre, pour justifier l’existence de ce néologisme. En revanche, nous ne nous prenons jamais pour des inspecteurs, même si nous sommes souvent sollicités pour notre expertise par les musées que nous visitons. » Depuis le lancement, en 1997, de la grande entreprise de récolement des œuvres de l’État mises en dépôt dans les administrations et les musées, une nouvelle spécialisation a en effet émergé. Sur le papier, le but de cette vaste entreprise est assez simple : constater de visu la présence ou l’absence d’une œuvre appartenant à une collection publique. Mais en préalable, il faut d’abord mener un travail de recherche sur les inventaires puis dans les archives, la réalité étant souvent complexe et révélant des situations aberrantes, quand certaines pièces sont inscrites sur les inventaires du dépositaire sans mention du déposant…

La mission du récolement relevant des conservateurs, rares sont les musées à dédier à cette tâche fastidieuse un service spécialisé. Le Louvre a créé une exception pour ses collections archéologiques, car celles-ci ont été largement disséminées depuis le XIXe siècle. Une équipe de dix personnes, dont neuf postes scientifiques (conservateurs, ingénieurs d’études et chargés d’études documentaires), associant titulaires et contractuels, tous spécialistes chevronnés en archéologie, a été progressivement constituée pour mener ce travail de longue haleine. « Nous sommes un îlot préservé », constate Yannick Lintz. Le service est directement rattaché à la direction du musée, et remet ses rapports au service des Musées de France mais aussi à la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA), organisme autonome piloté par la Cour des comptes, qui gère notamment le post-récolement et les dépôts de plainte.

Travail de patience
La tâche est vaste : depuis 1997, plus de 18 000 antiques du Louvre ont été récolés, soit 12 350 pièces vues pour un taux de perte de 70 %, moins de dix dépôts de plainte ayant été enregistrés. « Les pertes sont souvent dues aux faits de guerre, notamment dans les musées du Nord », précise Yannick Lintz. Après un important travail mené dans les archives – « Il y aurait de quoi écrire des romans à partir de ce que nous y trouvons ! » –, la mission se poursuit par une vérification sur pièce et sur place. Chaque année, 600 œuvres sont ainsi récolées par le service. Et dans chaque ville, il faut identifier les objets, parfois à partir d’indications laconiques, telles que « vase à une anse » ou « envoi d’un lot de tissus coptes », les mouvements ayant souvent été enregistrés de manière informelle. « Cela correspond au début de l’organisation des musées, note Yannick Lintz. Il existait alors une véritable frénésie en région lors des dépôts de l’État. » Tous les signes sont pris en compte, notamment les marques portées sur les objets (il en existe une centaine de différentes pour le seul Musée du Louvre) qui ont été patiemment recensées, faisant du service un pôle spécialisé sur ce sujet au sein du musée. Le travail est aujourd’hui entré dans une nouvelle phase, celle du récolement entre musées nationaux. Soit une autre histoire, qui ne correspond pas aux envois de l’État, mais à la constitution même des musées nationaux et aux mouvements des collections. Il fut un temps où Cluny et le Louvre étaient liés, et où le Musée Guimet conservait des antiques occidentaux… Avec encore de nouveaux écheveaux à démêler.

S’y ajoutent les recherches menées sur les modes d’acquisition afin de permettre d’établir juridiquement le transfert de propriété aux collectivités des dépôts antérieurs à 1910, conformément à la loi « musées » de 2002. Pour cela, il faut que les pièces transférables ne soient pas entrées par legs dans les collections nationales. Depuis 2004, 1 400 pièces archéologiques du Louvre ont été transférées et 4 000 autres pourraient l’être. La collecte d’informations permet ainsi la constitution de dossiers et de rapports de mission très détaillés sur des pièces qui n’ont souvent fait l’objet d’aucune étude. La CRDOA réfléchit désormais à la mise en valeur scientifique de ce travail, qui pourrait passer par la publication des travaux. « Il s’agirait de redonner une dimension noble à ce travail ; le service pourrait devenir un pôle de recherche sur l’histoire des collections et les modes d’acquisition. » Mais un autre constat se fait jour dans le cadre du post-récolement. « La situation actuelle date du XIXe siècle. On se rend compte aujourd’hui que 70 % des œuvres archéologiques en dépôt sont en réserve, car elles ne correspondent plus au programme scientifique et culturel des musées en région, relève Yannick Lintz. Il faudrait peut-être réfléchir à la possibilité d’une nouvelle répartition, à une redistribution en fonction de la réalité du réseau muséal français, et spécialiser davantage les collections en pôles thématiques. Sur ce point, le Louvre peut jouer un rôle de levier massif. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Récoleur

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