Impressions d’été

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2010 - 790 mots

Trois expositions normandes se penchent sur les techniques satellitaires de l’impressionnisme. Céramiques, estampes et dessins sont à l’honneur

Si le raz-de-marée impressionniste venu s’abattre sur la Normandie en ce début d’été n’est pas prêt de se retirer, il a cet avantage de mettre en avant des champs d’études rarement associés à Claude, Auguste, Camille et les autres. L’impressionnisme doit-il être réduit aux couleurs éclatantes d’un champ de coquelicots saisies sur une toile ? À Rouen, Caen et Le Havre, trois expositions ciblées et didactiques lèvent le voile sur les recherches périphériques d’artistes dits impressionnistes, ou en tout cas inspirées de ces nouvelles solutions picturales. « Entendu dans son acception la plus large, l’impressionnisme peut se définir comme une vision du monde et une approche de l’art, une appréhension du réel et de sa représentation, «un patrimoine commun» dont les idées pénètrent rapidement d’autres supports artistiques que la peinture », estime Audrey Gay-Mazuel, conservatrice du Musée de la céramique à Rouen et commissaire d’« Émaux atmosphériques. La céramique "impressionniste" ».

À l’ombre de la manifestation phare du festival « Normandie impressionniste » au Musée des beaux-arts de Rouen, cette petite exposition très réussie met en avant le renouveau de la céramique française à la fin du XIXe siècle. Avec, en première ligne, le peintre et graveur Félix Bracquemond, chargé par Charles Haviland de moderniser la ligne de porcelaines de la manufacture. À la tête d’une équipe de peintres, Bracquemond introduit la technique révolutionnaire de la barbotine développée par le céramiste Ernest Chaplet. Appliquée au pinceau, l’argile liquide et colorée permet toutes les fantaisies décoratives, mais surtout les effets de fondu et de volume. Et c’est ainsi que l’objet décoratif devient « impressionniste ». Au menu des vitrines thématiques parfaitement organisées, les vases et autres objets arborent des fleurs, des paysages de forêts et de rivières, des effets de couleur pure, des animaux et même des portraits.

À travers une excellente sélection de feuilles empruntées à la Bibliothèque nationale de France, le Musée des beaux-arts de Caen s’intéresse, quant à lui, à l’estampe. Certains peintres de la vie moderne apparaissent à l’aise dans ce médium, en particulier Édouard Manet, Edgar Degas ou encore Camille Pissarro, auxquels l’on doit parmi les plus belles pièces de l’exposition. Doté d’une faculté à jouer avec la technique pour évoquer les textures, Degas signe une somptueuse série de Mary Cassatt au Louvre, où l’on peut sentir sous ses doigts la douceur de la toque en fourrure, la fraîcheur lisse des statues égyptiennes, et la chaleur mate du parquet en bois. Camille Pissarro mélange lui aussi les techniques et excelle lorsqu’il saisit les effets atmosphériques de la pénombre, du soleil éblouissant, de la pollution du port de Rouen ou encore de la pluie. Autant d’« impressions gravées » où figurent également les portraits intimes que la joyeuse bande exécutait entre elle et les recherches d’effets d’encre d’Auguste Delâtre, Henri Guérard et, bien sûr, James McNeill Whistler.
Au Musée Malraux du Havre, Edgar Degas est aussi à l’affiche. Mais, cette fois, pour ses dessins. Confiées au musée en 2004 par la petite-fille d’Olivier Senn, les 46 feuilles présentées révèlent l’intérêt du collectionneur pour les œuvres de jeunesse de l’artiste féru de classicisme ingresque. Le travail de recherches mené par la conservatrice des lieux, Annette Haudiquet, pour cataloguer ces œuvres fut minutieux, mais il reste ouvert à suggestion : la venue des experts en la matière, Henri Loyrette et Theodore Reff, est attendue avec impatience. D’une grande cohérence, la série de feuilles protégées des regards dans l’atelier du maître consiste principalement en des académies exécutées lors du voyage formateur en Italie, et des tentatives successives de signer une grande peinture d’histoire. Dans un accrochage très clair, où les cimaises évoquent des maries-louises géantes, plusieurs murs sont consacrés aux cycles préparatoires de tableaux bien connus tels Sémiramis faisant construire Babylone (1860-1862), La Fille de Jephté (1859-1861) ou  Petites filles spartiates provoquant les garçons (v. 1860). Avant de s’achever sur l’émancipation de Degas de la peinture d’histoire pour mieux s’attaquer à la vie moderne et devenir pleinement « impressionniste ».

ÉMAUX ATMOSPHÉRIQUES. LA CÉRAMIQUE « IMPRESSIONNISTE »
jusqu’au 26 septembre, Musée de la céramique, 1, rue Faucon, 76000 Rouen, tél. 02 35 07 31 74, www.rouen-musees.com, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. Nicolas Chaudin, 192 p., 30 euros, ISBN 9-782-3503-9092-5

L’ESTAMPE IMPRESSIONNISTE. TRÉSORS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
jusqu’au 5 septembre, Musée des beaux-arts de Caen, Le Château, 14000 Caen, www.mba.caen.fr, tlj sauf mardi 9h30-18h. Catalogue, éd. Somogy, 160 p., 25 euros, ISBN 978-2-7572-0376-7

DEGAS INÉDIT. LES DESSINS DE LA COLLECTION OLIVIER SENN
jusqu’au 19 septembre, Musée Malraux, 2, boulevard Clemenceau, 76600 Le Havre, tél. 02 35 19 62 62, musee-malraux.ville-lehavre.fr, tlj sauf mardi et le 14 juillet, 11h-18h, les samedi et dimanche 11h-19h

ÉMAUX ATMOSPHÉRIQUES
- Commissaire : Audrey Gay-Mazuel, conservatrice chargée du Musée de la céramique et des collections d’objets d’art du Musée des beaux-arts de Rouen
- Scénographie : Didier Blin

L’ESTAMPE IMPRESSIONNISTE
- Commissaires : Caroline Joubert, conservatrice au Musée des beaux-arts de Caen ; Valérie Sueur-Hermel, conservatrice au département des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque national de France

- Scénographie : agence NC (Nathalie Crinière)

DEGAS INÉDIT
- Commissaire : Annette Haudiquet, conservatrice en chef du Musée Malraux

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Impressions d’été

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