Jordanie

Monde arabe

Premier sommet des conservateurs à Amman

Pendant quatre jours, des conservateurs venus de dix-sept pays arabes se sont rencontrés dans la capitale jordanienne

Par Nicolas Powell · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1994 - 1071 mots

JORDANIE

Rencontre inédite, « a perfect congress », de l'avis du docteur Safwan Tell, directeur général des antiquités et des musées de Jordanie : pour la première fois, plus de quatre-vingts directeurs et conservateurs de musées de dix-sept pays arabes se sont rassem­blés à Amman, du 26 au 30 avril.

AMMAN - Organisé par l'ICOM (Conseil international des musées) et le Département des antiquités du Royaume Hachémite de Jordanie, sous l'égide du prince héritier Aï-Hassan, le colloque "Musée, civilisation et développement" avait pour but de discuter de tous les problèmes de gestion et de conservation que connaissent les musées de la région. Seuls le Kuwait et l'Arabie Saoudite - la Guerre du Golfe et ses retombées politiques étant encore trop présentes dans les esprits - ont préféré ne pas y participer. Parmi les participants occidentaux à la rencontre d'Amman, qui a été financée par les fondations Ford et Rockefeller, le programme Getty Grant, le Quai d'Orsay, le British Council et l'UNESCO : Annie Caubet, conservateur général des antiquités orientales au Louvre, Jeanne Mouliérac et Brahim Alaoui de l'Institut du Monde Arabe, Jean-Yves Marin du Musée de Normandie, Jacques Pérot du Musée de l'Armée, Jean Lambert du Musée de l'Homme, ainsi que Shelagh Weir et Christopher Spring du Muséum of Mankind, British Muséum. Répartis dans trois ateliers, les professionnels - dont la plupart ne s'étaient jamais rencontrés auparavant - se sont penchés sur les thèmes du rôle des musées et du personnel de musées, la gestion des collections, et la recherche, la déontologie et la législation : programme ambitieux, en effet, qui a vu la confrontation d'expériences muséographique très diverses, a soulevé de multiples questions et apporté, en fin de colloque, des solutions pratiques sous la forme de trois rapports de synthèse, assortis d'une vingtaine de recommandations.

Expositions liées aux préoccupations de la communauté
L'un des problèmes majeurs explorés à Amman était la désaffection, pour ne pas dire l'aliénation, des populations arabes pour leurs musées, trop souvent hérités de l'époque coloniale, installés dans des bâtiments inadéquats, et conçus selon des schémas européens. Car même si certaines institutions (telles que les centres folkloriques palestiniens, ou la Maison du Coran de Bahreïn, très fréquentée, et seul musée au monde consacré exclusivement aux manuscrits coraniques), conservent un patrimoine intimement lié aux préoccupations de la population locale, bien d'autres sont, au contraire, perçus comme destinés aux seuls touristes, à une élite sociale ou, au mieux, aux écoliers des environs. En Algérie, les musées et leurs conservateurs sont même devenus les cibles de la furie meurtrière des fondamentalistes islamiques, comme en témoigne l'assassinat le 5 mars dernier du directeur de l'École supérieure des beaux-arts d'Alger, Ahmed Asselah, et de son fils.

Les visiteurs des musées égyptiens, selon les représentants de ce pays à Amman, sont à quatre-vingt -dix pour cent des touristes étrangers. Le musée de Tripoli en Libye, pays à très faible fréquentation touris­tique, n'est visité que par 90 000 personnes par an, dont un nombre très important d'enfants d'écoles primaires, a expliqué son direc­teur. Au musée Ajman des Émirats Arabes, selon sa directrice Makia Al-Hajre, seuls 10 % des visiteurs sont des adultes du pays - les autres étant pour 60 % des enfants. et pour 30 % des touristes étran­gers, généralement accompagnés, ce qui plus est, non pas par un gar­dien du musée, mais par leur propre guide. Ailleurs, un manque de promotion se fait durement sentir : ainsi le musée archéolo­gique de Jerash en Jordanie, qui abrite une collection excellente dans un bâtiment médiocre, n'attire que 27 000 des 136 000 per­sonnes qui visitent chaque année le site proprement dit. Pour impliquer la population dans la vie du musée, les partici­pants au colloque ont insisté sur la nécessité de faire davantage collaborer écoles et musées, afin de stimuler des enfants qui, visi­teurs de demain, pourraient, dès aujourd'hui, aider leurs parents à s'intéresser aux institutions et aux collections de leur pays. À ce pro­pos, Shelagh Weir du Muséum of Mankind, a recommandé de pré­voir dans les musées des espaces et des équipements fondamentaux - armoires, tables et chaises - destinés aux enfants, et conseillé de monter des expositions ethnogra­phiques liées aux préoccupations et aux intérêts de la communauté.

Formation du personnel
L'importance d'une formation adéquate pour le personnel des musées a également été longuement débattue lors des séances d'atelier, ainsi que la nécessité de normaliser la terminologie muséale dans le monde arabe, notamment par l'élaboration d'un lexique terminologique. La mise en veilleuse, à cause de l'embargo contre l'Irak et de la situation économique déplorable du pays, du "Centre régional de Bagdad pour la conservation des biens culturels dans les pays arabes" a été unanimement regrettée : les avis ont été pourtant divisés quant à une possible solution, les conservateurs optant finalement pour qu'une partie des activités du centre de Bagdad soit déplacée vers la Jordanie ou vers un autre pays voisin.

De nombreux conservateurs ont déploré l'absence presque totale de communication entre les professionnels des musées dans le monde arabe. Pour pallier ce manque, ils ont exprimé le souhait de voir ressuscitée la revue du Kuwait, Arab Muséum Magazine, et l'échange de magazines et de revues entre les musées. L'Egypte s'est proposée pour assurer la publication d'une lettre d'information semblable à celle déjà publiée par l'ICOM. La majorité des conservateurs s'est montrée favorable à un regroupement régional, au sein de l'ICOM, et la Jordanie s'est proposée comme siège d'un telle organisation. Parmi les autres sujets débattus : la nécessité de mesures de conservation préventive et une plus grande concertation régionale et internationale, l'urgence de compléter l'inventaire des collections des musées arabes, le problème du pillage et de la revente sur le marché de l'art international du patrimoine, évoqué en particulier par le directeur général des antiquités irakien, le docteur Mouyad Saïd Damerdji, ainsi que le besoin d'étudier l'impact, parfois négatif, d'un tourisme de plus en plus important dans le monde arabe. Selon Saroj Chose, président de l'ICOM, l'organisation a voulu "encourager une volonté de coopéra­tion dans la région qui ne saurait être imposée de l'extérieur."
"Notre premier but était donc ade créer un plate-forme pour mener une discussion et identifier d'abord les problèmes pour lesquels une solution peut être trouvée dans la région même, et ensuite ceux qui nécessiteraient une aide extérieure. Ainsi l'ICOM pourra coordonner les efforts pour trouver tel ou tel expert, ou identifier un autre musée qui aurait les ressources nécessaires pour aider à résoudre un problème technique donné", nous a-t-il confié.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Premier sommet des conservateurs à Amman

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