Beckmann : une première en France

Les gravures de Max Beckmann aux Sables d’Olonne

De l’enfer de Weimar au rêve américain, les visions hallucinées de Beckmann

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 944 mots

Le Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne présente, du 12 mars au 5 juin, l’œuvre gravé de Max Beckmann, commémorant ainsi le cent dixième anniversaire de sa naissance à Leipzig. Depuis l’exposition de 1968 au Palais de Tokyo qui passa inaperçue, c’est la première exposition monographique consacrée à cette grande figure de l’art allemand.

LES SABLES D’OLONNE - Avec près de deux cents gravures provenant pour la plupart du Musée Sprengel de Hanovre et de la Galerie nationale de Berlin, l’exposition des Sables d’Olonne permettra de recomposer entièrement le parcours de Max Beckmann (1884-1950). A l’instar des expressionnistes, la gravure n’a pour lui jamais été anecdotique : entre 1915 et 1923, il en produisit près de trois cents tandis qu’il peignit seulement trente tableaux. La possibilité de diffuser plus largement ses œuvres intéressait au premier chef cet artiste toujours préoccupé par la réalité sociale. Pour Didier Ottinger, conservateur du musée, l’exposition de ces ensembles de gravures vaut mieux que celle de dix peintures que lui autoriserait son budget (voir ci-contre). De la série l’Enfer (1919), qui retrace dans des compositions intenses l’effroi et la violence de la vie quotidienne sous la république de Weimar, à la série Day and Dream (1946), journal visuel de ses années américaines, tous les thèmes de Beckmann seront représentés et donneront au public français une vision globale de cet artiste à part.

C’est un doux euphémisme de dire que son œuvre reste mal connue en France : pratiquement absente des collections publiques, elle n’a jamais fait l’objet, jusqu’à aujour-d’­hui, d’une présentation conséquente. Elle partage en cela le destin de ses conationaux de l’époque qui n’ont pas plus bénéficié d’une attention soutenue de ce côté-ci du Rhin. Hormis les expressionnistes, tardivement mais magnifiquement redécouverts l’an passé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et quelques autres comme Schwitters (qu’une rétrospective, organisée par Serge Lemoine, honorera bientôt au Centre Georges Pompidou) ou Max Ernst, des artistes aussi importants que Lovis Corinth ou Wilhelm Lehmbruck restent totalement ignorés. Seize ans après, un nouveau Paris-Berlin, moins superficiel que l’original, ne serait pas superflu.

"Un pont vers l’invisible"
Célébré par de nombreuses rétrospectives en Allemagne et aux États-Unis, son pays d’adoption après-guerre, Beckmann y est un monstre sacré. Son influence n’a cessé de grandir à partir des années 70, quand, sous les pinceaux de Baselitz et d’Immendorf entre autres, l’expressionnisme a resurgi sous de nouvelles espèces. Des Autoportraits, montrés à la Kunsthalle de Hambourg et à la galerie Gagosian de New York en 1992 ont suscité de nombreux commentaires. L’esprit cartésien a sans doute quelque difficulté à cerner une œuvre riche et complexe qui a successivement été associée, à tort, avec le post-impressionnisme, l’expressionnisme et, dans les années 30, avec la "Nouvelle Objectivité" (Neue Sachlichkeit). Pourtant, dans ses grandes compositions, l’influence de Delacroix, qu’il découvrit lors de son premier voyage à Paris en 1903 (il y reviendra à plusieurs reprises, la dernière fois en 1947) y est plus sensible qu’aucune autre. De même, ses affinités avec Die Brücke ou Der Blaue Reiter sont en réalité très lointaines : on ne décèle pas dans ses peintures la moindre trace d’un paradis, fut-il perdu, et la virulence de ses couleurs sombres, toujours assujetties à un sujet, n’a que peu de rapports avec l’exubérance d’un Heinrich Heckel ou d’un Franz Marc. Il ira même jusqu’à dénoncer, en 1920, l’irrationnel et la "mystique d’enflure fausse et sentimentale" de l’expressionnisme.

Dada et la guerre ont profondément modifié le climat de l’Allemagne. En 1925, Beckmann expose en compagnie d’Otto Dix et Georges Grosz sous la bannière de la "Nouvelle Objectivité". Là encore, son caractère indépendant fait la différence avec la vision caricaturale et provinciale d’un monde en plein bouleversement qu’avec une certaine complaisance ses compatriotes développent. Son art commence là où celui des autres s’arrête : "Ce qui m’importe par dessus tout dans mon travail, écrit-il en 1938, c’est l’idéalité qui se trouve derrière la réalité apparente. A partir du présent donné, je cherche le pont vers l’invisible." Autant dire que ses préoccupations sont délibérément métaphysiques. Il dira un jour avoir, dans ses peintures, "accusé Dieu de tout ce qu’il a pu mal faire".

Avec des textes d’Andréas Franzke, spécialiste de l’œuvre sculpté, de Klaus Gallwitz, conservateur au Städelsches Kunstinstitut de Francfort, de Norbert Nobis, du Sprengel Museum, et de Didier Ottinger, le catalogue (co-édité avec la RMN) constituera le premier ouvrage de référence en français sur l’ensemble de l’œuvre.

Où voir les œuvres de Max Beckmann

C’est en Allemagne, qu’il a pourtant fuie dès 1937, à la veille de l’exposition "L’Art dégénéré", que l’on peut voir l’essentiel de la production de Beckmann. Le Sprengel Museum de Hanovre conserve de très nombreuses peintures (à partir de la fin des années 30) et gravures. Les musées de Stuttgart, Cologne (Autoportrait avec chapeau noir, 1934), Mannheim, Brême (la Danse des coupe-gorge, 1938), Essen (où l’on peut voir la très atypique Promenade des Anglais à Nice, 1947) et Berlin possèdent tous d’importants tableaux de Beckmann. Aux Pays-Bas, le Stedeljik d’Amsterdam, où Beckmann a séjourné, possède un bel ensemble de peintures. Le MoMA de New York, quant à lui, peut s’enorgueillir de posséder l’étonnante Descente de croix de 1917 et l’Autoportrait avec cigarette de 1923. Le musée de Saint-Louis, où Beckmann a enseigné dans les dernières années de sa vie, possède également un grand ensemble. Une autre œuvre-clef se trouve à la Tate Gallery de Londres : Carnaval (1920). En France, où il a pourtant séjourné à plusieurs reprises, l’inventaire est trop bref pour ne pas être ridicule : outre un paysage dans les collections permanentes du Mnam, un Paysage avec Bûcherons (1927) de la même institution est en dépôt aux Sables d’Olonne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Les gravures de Max Beckmann aux Sables d’Olonne

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