Religion

Art contemporain et Sida, le credo de Saint-Eustache

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 761 mots

À contre-courant d’une attitude moralisatrice de l’Eglise vis-à-vis de l’épidémie du Sida, la paroisse Saint-Eustache à Paris abrite, depuis un an, une galerie dont la totalité des recettes contribue à aider les malades du Sida et leurs proches. Confrontée de plein fouet à l’épidémie, particulièrement meurtrière dans ce quartier lié aux milieux de la création, « Saint-E » permet à des noms confirmés - Christian Boltanski, Annette Messager, Jean-Pierre Bertrand, Jean-Luc Vilmouth… - de parrainer de jeunes artistes.

PARIS - Le Père Gérard Bénéteau, 48 ans, prêtre à "Saint-E" depuis une dizaine d’années et curé de la paroisse depuis le 1er septembre 1993, a conçu cet espace d’exposition "comme un signe, dans la tradition d’hospitalité et d’ouverture de la paroisse". "Nous nous situons d’emblée à la fois proches de l’Eglise et en dehors d’elle", explique-t-il, puisque la galerie donne directement sur la rue. Proche également, puisque le Forum Saint-Eustache est la partie visible de l’action de l’Eglise en faveur de la lutte contre le Sida, même si au début, l’Eglise s’est coupée de ceux que touche le Sida en portant un jugement moral sur la maladie. A l’heure actuelle, souligne-t-il, ma récente nomination à la tête de cette paroisse peut être interprétée comme une prise de conscience de la hiérarchie par rapport à l’épidémie de Sida. La permanence du lieu est d'une importance capitale : "Il ne s’agit pas d’une initiative ponctuelle, contrairement à d’autres actions, tout aussi louables, d’artistes en faveur de la lutte contre le Sida".

Réunis ici sous la même bannière, l‘art contemporain et le Sida sont, aux yeux du Père Benéteau, deux expressions fortes de notre quotidien : "Nous évoluons dans un monde à risques. C’est vrai pour l’art qui manque de repère, qui pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. C’est vrai pour la santé à laquelle le Sida a rappelé sa terrible fragilité, et pour la science impuissante à faire face au défi."

Le prix du risque
L’art et le Sida, aux yeux du Père Bénéteau, relèvent des mêmes mécanismes, de l‘omniprésence de cette notion floue de risque, sans lequel la création ne peut exister. "Il faut oser mener son art sans interdit", soutient le Père Beneteau qui n’oublie pas justement quel prix paient ceux qui avaient pu en faire, dans d‘autres domaines, leur profession de foi.

Nichée au creux de "Saint-E", la galerie du Forum Saint-Eustache a réussi à se faire, en peu de temps, une excellente réputation de… galerie. Voire, suggèrent certains, de pré-ARC, puisque la programmation est proche dans sa sensibilité, de la section art contemporain du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. En effet, quatre de ses responsables, Suzanne Pagé, Laurence Bossé, Dagmar Fregnac et Ghislaine Germain, se sont chargés, à titre bénévole, du choix des artistes. L’idée de la Carte blanche – demander à un artiste reconnu de parrainer un jeune artiste – c’est nous, affirment-elles, car il fallait surmonter une contradiction : comment faire connaître un lieu qui n’expose que de jeunes créateurs ?

La sélection des artistes se fait, avouent-elles, avec une arrière-pensée commerciale qui répond aux contraintes de l’espace : il faut en priorité des œuvres qui se vendent. Donc, en principe, pas d’installations. Les artistes, six à sept par an, exposent leur travail, et s’il a un quelconque rapport avec le Sida ou la séropositivité, c’est pur hasard. "Notre choix est guidé par le seul souci de la qualité des œuvres, sans nous cantonner à un genre, à une école ou à une tendance précise."

Très satisfait de la programmation, le Père Bénéteau l’est également des résultats commerciaux : environ 200 000 F, obtenus "en pleine crise du marché de l’art". Cette somme est essentiellement destinée aux relations malade-famille, notamment au transfert des malades vers la province ou l’étranger. Ainsi, sur douze demandes présentées par les assistantes sociales travaillant au sein de l’Assistance Publique dans les services de maladies infectieuses, sept ont été concrétisées. "Certes, reconnaît le Père Bénéteau pour expliquer cet excellent bilan, nous fonctionnons avec peu de frais : pas de loyer, pas de salaires…"

"Mais ce qui est nouveau, conclut-il, c’est que l’Eglise, à travers cette initiative, fasse confiance à l’art, hors de tout prosélytisme religieux".

Programmation du premier semestre 1994 :
- Cédric HERVE (présenté par Pierre Buraglio) du 8 mars au 16 avril ;
- Elvire FERLE (présentée par Zao Wou-Ki), du 26 avril au 28 mai;
- Henri FOUCAULT (présenté par Alain Fleischer), du 7 juin au 9 Juillet 1994

Association Solidarité-Sida-Saint-Eustache
Galerie du Forum Saint-Eustache
1, rue Montmartre 75001 Paris
Tél : 42 33 39 77

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Art contemporain et Sida, le credo de Saint-Eustache

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque