Salon

Franc succès pour le Salon de Maastricht

La plus grande foire d’art et d’antiquités d’Europe a rassemblé marchands, conservateurs, collectionneurs et amateurs du 12 au 20 mars

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 1388 mots

Avec plus de soixante mille visiteurs cette année, cinquante pour cent de plus qu’en 1993, une section d’art moderne et contemporain ragaillardie, et une proportion croissante d’exposants étrangers – seulement 46 des stands sur 157 étaient tenus par des marchands néerlandais –, le salon de Maastricht s’est confirmé comme l’un des tout premiers au monde.

MAASTRICHT - "C’est un salon extrêmement élégant, d’un niveau très élevé. Grosvenor House à Londres est destiné aux marchands anglais, la Biennale de Paris reste très française. Ici, on a vraiment l’impression de faire partie d’un événement européen", nous a confié Paul Chamkins, directeur de Spink, galerie de Londres spécialisée en art oriental, qui a exposé à Maastricht, entre autres, des statuettes de l’Himalaya, fort prisées par les amateurs allemands.

Non seulement des collectionneurs "de grand calibre international" selon l’expression d’un marchand français, mais également de très nombreux conservateurs de musée ont fait le voyage à Maastricht. Jacques Foucart du Louvre, Peter Sutton de Boston, Edgar Petersbowron de la National Gallery de Washington, George Keys de Minneapolis, Jim Wely du Worcester Art Museum, Walter Liedtke du Metropolitan Museum de New York, Horst Vey de Karlsruhe, Prinz Hohenzollern du musée de Bavière, Worter Kloek d’Amsterdam, Alan Chong de Cleveland, Timothy Husband des Cloisters, New York, Dietmar Kelch de Berlin et Franklin Robinson, directeur de Cornell University, entre autres, ont tous arpenté les allées du salon.

La galerie Kugel de Paris affirme avoir vendu le premier soir pas moins de quarante objets, dont un fauteuil turinois du XVIIIe siècle, acquis par le Rijksmuseum d’Amsterdam, et un médaillon en ivoire de 1620, un portrait de la Reine Marie attribué à Jean Cavalier, acheté par le musée néerlandais Het Loo. Sam Fogg, grand spécialiste londonien de manuscrits médiévaux enluminés, dit avoir vendu, quelques minutes après l’ouverture du salon, un "rosarium", un livre de prières du XVIe siècle, illuminé par le peintre flamand Simon Benin, pour 350 000 livres, environ trois millions de francs.

Les chandeliers de Catherine la Grande
Gisèle Croës de Bruxelles, spécialiste d’art chinois ancien, indique avoir vendu, grâce à un coup de téléphone reçu le soir même de l’ouverture du salon, un splendide vase en bronze Shang (XIVe-XIe siècle avant J.C.) au musée T.T. Tsui, de Hong Kong. Mme Croës, qui montrait des bols à offrandes en or massif d’un tombeau Sung Liao (XIe siècle) a également vendu une boîte en bronze Fang-Yi, de la période Shang, en provenance de la collection Ronald Lander, pour environ un million de dollars, (5,7 millions de francs), ainsi qu’un ensemble de statues funéraires Tang, constitué de sept courtisanes et leur prince, en terre cuite polychrome, dans un état de fraîcheur remarquable.

Dans la section "Textura", qui est l’une des grandes spécialités du salon de Maastricht, la tapisserie "Le mois d’août", faite aux Gobelins vers 1710 pour Marie-Anne de Bourbon, Princesse de Conti, et magnifiquement bien conservée, dominait le stand du marchand anversois Bernard Blondeel. Cette œuvre faisait partie de la col­lec­tion de feu le président Houphouët-Boigny. La galerie d’Anvers Kailash, à côté, a axé son exposition autour d’un ensemble de tissus anciens "Nazca" du Pérou (200-600 de notre ère).

Chez les bijoutiers, Gianmaria Buccellati exposait la fabuleuse collection Elzas de diamants de couleur – trois cents pierres et autant de carats, assurés pour vingt millions de dollars. L’argenterie également était brillamment représentée : S.J. Phillips de Londres, par exemple, proposait seize chandeliers en vermeil, faits pour Catherine la Grande dans la capitale britannique par l’orfèvre Thomas Heming en 1776. Ermitage, également de Londres, exposait des boîtes et des cadres émaillés de Fabergé, ainsi qu’un miroir en émail de style rococo du même orfèvre, donné à l’aviateur Blériot pour commémorer sa traversée de la Manche.

Tulipes et scènes de beuverie
Le travail des orfèvres d’Augsbourg était à l’honneur chez Albrecht Neuhaus de Würzburg et sur le stand de Neuse, de Bremen, qui vendait, pour presque trois millions de francs, un coffret à bijoux richement travaillé en vermeil, pierres semi-précieuses et opales, fait par Lorenz Biller à Augsbourg en 1680 pour la Cour d’Espagne : et, pour 1,9 million de francs, une coupe élaborée en vermeil et nacre, destinée à l’origine à de riches marchands turcs.

La section des tableaux modernes et contemporains, bien faible par le passé, a bénéficié cette année de la présence de deux galeries de Londres, Mayor et Marlborough, qui ont fait le voyage aux Pays-Bas sur l’insistance de leur confrère londonien Leslie Waddington, déjà présent en 1993. Les trois marchands ont choisi de montrer des œuvres d’une qualité parfois moyenne, mais dues à de grands noms de l’art du XXe siècle – de Picasso à Nicholson, en passant par Bacon, Botero, Calder, Warhol et même, plus surprenante, Rebecca Horn. Un choix conservateur et prudent, en somme, fait sur mesure pour un marché morose, mais qui a néanmoins suscité quelques ventes.

Dans la section "Pictura", consacrée aux tableaux anciens, les marchands ont, comme d’habitude, affiché de nombreux tableaux décoratifs flamands et hollandais du XVIIe siècle, qui ont le mérite de très bien se vendre. Parmi toutes les tulipes et scènes de beuveries paysannes, cependant, se nichaient de véritables chefs d’œuvre.

Un dessin exceptionnel de Rembrandt
Bob Haboldt, de Paris et de New York, a vendu "La fuite en Égypte" de l’allemand Adam Elsheimer (1578-1610), qu’il avait acheté à Sotheby’s New York en janvier dernier, à un musée américain pour plus d’un million de florins (2 900 000 francs environ). Un collectionneur privé américain s’est offert pour un prix similaire chez le même marchand un dessin à l’encre de Rembrandt, exceptionnel de rareté et de qualité, représentant quatre têtes d’hommes, barbus et portant turbans.

Johnny Van Haeften, de Londres, qui a vendu treize tableaux au salon, montrait une magnifique nature morte de 1619 ou 1621, une huile sur cuivre d’Ambrosius Bosschaert, achetée à Drouot en décembre 1992 pour 6 093 000 francs et proposé à Maastricht, sans trouver encore preneur, pour 1 350 000 livres (11 600 000 francs environ).

Agnew’s de Londres présentait "La Sainte Famille sous un pommier, recevant la visite de sainte Élisabeth, Zacharie et saint Jean-Baptiste enfant", une étude de Rubens pour le retable de Saint Ildefonso qui est conservé au Kunsthistorische Museum à Vienne (500 000 livres, environ 4,4 millions de francs), et un superbe Géricault : "Le hangar du maréchal-ferrant" pour environ 5,8 millions de francs.

Emmanuel Moatti de Paris mettait en vedette le magnifique "Vanitas" du peintre du XVIe siècle Jan Sanders van Hemessen, acheté à Drouot et vendu, avant même l’ouverture du salon, au Musée de Lille. A côté, se trouvait une vue d’Anvers de Hans Bol (réservée par un musée), peinte en "tuschlein", une technique de gouache sur lin : peu d’œuvres de ce genre, vue leur grande fragilité, ont survécu. Celui-ci, selon Moatti, est le seul apparu sur le marché depuis cinquante ans.
 
Huguette Bérès fait sensation
Pour sa première exposition au salon, Huguette Bérès de Paris, grande spécialiste des peintres "nabis" et des estampes japonaises qui les inspiraient, a fait sensation avec un choix d’œuvres de première qualité : entre autres, des pastels de Vuillard, un paysage fauve de Derain de 1905, cinq toiles de l’école de Barbizon (dont "Le Moulin de Gabelle" de Daubigny, vendu), des études d’après des maîtres italiens de Delacroix, au crayon et à l’encre, et de charmants dessins de Bonvin. Les autres exposants français, tels que Jean-François Heim, spécialiste de tableaux et de dessins XIXe siècle, Joseph Uzan de la galerie d’antiquités Samarcande, et Georges De Jonckheere, marchand de tableaux hollandais et flamands du XVIIe siècle, se montraient extrêmement satisfaits des résultats de leur participation au salon.

Le mobilier français du XVIIIe siècle était représenté cette année à Maastricht par Partridge de Londres et par Bernheimer de Munich. Adriano Ribolzi de Monte-Carlo, sur un stand décoré d’une boiserie Louis XVI, finement sculptée, attribuée aux frères Rousseau, a vendu une console Louis XVI, six fauteuils cannés Louis XVI, dix chaises de salle à manger Louis XV estampillées Bauve, et un fauteuil Louis XV estampillé Étienne Meunier.

Plus de quarante marchands figurent déjà sur la liste d’attente du salon de Maastricht 1995. Selon Hans König, président de la fondation qui gère la foire, les organisateurs veulent encore renforcer son caractère international, en faisant appel, notamment, pour l’année prochaine, à d’autres antiquaires français. Rendez-vous, donc, du 11 au 19 mars l’année prochaine, à Maastricht.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Franc succès pour le Salon de Maastricht

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