Restauration : La National Gallery de Londres

Au cours des quinze dernières années, quelques-uns des plus importants chefs-d'œuvre du patrimoine artistique international ont été restaurés. Dans une étude retentissante, publiée cet automne, Beck et Daley mettent en cause la restauration, accusée d'être une science sans conscience. En partant de cinq cas concrets de restauration, le JdA a demandé à Helen Glanville et Géraldine Guillaume Chavannes de présenter le point de vue des restaurateurs.

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 979 mots

La Mise au Tombeau de Michel-Ange et l’Adoration des mages du Bramantino.

Beck et Daley : Les restaurateurs de la National Gallery auraient enlevé des couches de la peinture originale et la direction du musée a tenté d’empêcher Daley de découvrir la vérité.

Helen Glanville : L’une des graves accusations formulées par Beck et Daley contre la National Gallery est qu’il y a eu confusion sur la nature des couches de peinture originales dans la Mise au Tombeau de Michel-Ange, le tableau restauré par Ruhemann en 1968-69. Les auteurs citent le guide du musée publié en 1970 : "l’analyse scientifique et la restauration […] ont établi que Michel-Ange a obtenu des effets de couleur assourdis en "assombrissant" ses couleurs avec de la peinture grise".

Après consultation du dossier établi par le service de la restauration, Daley n'a pas été convaincu de la nature exacte des couches grises enlevées durant le nettoyage.?Pour lui, il s’agissait d’une couche de gris original peint sur les clairs et non par"des résidus de vernis blanchis" provoquant un effet optique. Le guide de la National Gallery mentionne l’aspect relativement sombre de la Mise au Tombeau mais ne l’associe pas à des couches de peinture grise, cet effet provenant de l’état d’inachèvement du tableau – le brun gris d’une robe est peut-être une sous-couche de peinture – et de ses altérations – le brun d’une autre robe a jadis été vert. Daley a été invité par le musée à venir examiner les échantillons lui-même, en compagnie d’un restaurateur de son choix. Il les a étudiés en présence du Dr Ashok Roy, chef du Département scientifique.

À l’évidence, la peinture originale n’avait pas été touchée, puisque les échantillons examinés indiquaient la présence de résidus de vernis sur la surface de la couche picturale. Beck et Deley regrettent "l'absence d'informations et de rapport final officiel du travail des restaurateurs". Le public peut avoir accès aux dossiers de la conservation et de la restauration, ceux-ci doivent être consultés sous surveillance et sur rendez-vous. Le Technical Bulletin, de son côté, publie des informations sur les tableaux restaurés, les recherches en cours et la documentation photographique. Dans les salles, des notices indiquent que les tableaux ont été restaurés et fournissent les informations de base sur leur état.

Mais la facilité d’accès aux informations techniques n’est pas suffisante en elle-même. Dans la grande majorité des cas, pour l’historien d’art spécialisé comme pour l’amateur, l’interprétation de cette information requiert une connaissance scientifique des matériaux utilisés à la fois par l’artiste et par le restaurateur. Si vous découvrez, en consultant le dossier de restauration publié dans le Technical Bulletin, que l’Adoration des mages du Bramantino a été nettoyée à l’acétone mais que l’on a utilisé un mélange d'isopropanol et de white-spirit en proportion de trois pour un afin de nettoyer La Cour du maçon de Canaletto, cela vous donnera peu d’informations sur les raisons de ces choix, sauf si vous êtes vous-même restaurateur praticien.?Tout au plus aurez-vous quelque vague notion que l’acétone est un diluant "fort" et que l’autre mélange à base de white-spirit doit être plus "faible". Ces notions inexactes de "fort" et de "faible" font partie des idées reçues les plus solidement ancrées dans l’esprit du public.

L’Adoration des mages du Bramantino
Beck et Daley : le modelé du coffret rose, de l’Adoration des mages du Bramantino, a été supprimé durant la restauration.

Helen Glanville : Daley cite quatre témoignages du restaurateur et d’autres membres du musée, de façon à les rendre confuses et contradictoires. Puis il avance : "Ces contradictions me paraissent trahir le manque de cohérence au sein même de la restauration scientifique". Interrogé sur le changement d’apparence du coffret rose, le restaurateur répond : "Il est possible qu’un glacis de laque rouge ait pâli mais cette même laque a subsisté sur le bord supérieur et aux pieds [du coffret]".

Daley réplique : "Le glacis n’a pu pâlir puisqu’il existait préalablement au nettoyage". Il s’agit d’un problème d’interprétation,ce qui existait avant le nettoyage était un modelé sur la partie inférieure du coffret qui recouvrait des lacunes et prouvait, comme le note Daley à propos du Banquet des dieux de Bellini et du Titien, que "la peinture a été appliquée à une date postérieure à celle de l’original" [les italiques sont de nous]. En clair, qu’il s’agissait d’une restauration. Lorsqu’il parle de laque rouge, le restaurateur se réfère aux couches de peinture originales et dit qu’elles peuvent avoir pâli, comme cela est suggéré par l’examen des coupes transversales (National Gallery Technical Bulletin XIV, p. 58). Ce pâlissement expliquerait pourquoi, lors de la restauration effectuée vers 1862 par Molteni, le restaurateur a décidé de remplacer ce qui n’existait plus et de reconstituer le modelé.

Le traitement pictural du coffret vert voisin présente un modelé accentué, alors que le coffret rose n’a plus que ses rehauts de lumière et ses ombres. Le modelé du coffret vert est constitué d’un glacis vert à base de cuivre qui, sous l’effet de la lumière, fonce et devient opaque ; les ombres et le modelé présentent alors un aspect plus accentué qu’à l'origine. La radiographie prouve l’intention de l’artiste de donner plus de modelé au coffret vert. Le coffret a été peint en couche très mince avec du blanc de plomb additionné de laque rouge qui a été employée en glacis épais pour accentuer les ombres sous le rebord et sous les pieds. Les laques rouges à cette époque étaient d’origine organique et tendaient à pâlir sous l’effet de la lumière, les particules en surface perdant leur pigmentation. Le processus sera moins visible pour un glacis épais que pour un glacis mince, ou, dans le cas du coffret rose, lorsque les particules de couleur transparentes ont été mélangées aux autres couleurs. Le résultat donne un plan sans modelé et beaucoup plus plat. Si la résinate de cuivre vieillissait de la même façon, le contraste entre les deux paraîtrait moins important.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Restauration : La National Gallery de Londres

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