Art contemporain - Centre d'art

Descente au Creux de l’enfer

Un lieu où les artistes semblent chez eux.

Par Pierre Leguillon · Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 550 mots

THIERS

Un passage par le Creux de l’enfer ne laisse jamais indemne. Il y a d’abord ce site exceptionnel : une ancienne coutellerie enclavée dans la vallée de la Durolle, où résonne le vacarme de chutes d’eau. Et si la reconversion du patrimoine architectural industriel fin XIXe en centres d’art est plutôt monnaie courante (le CAPC à Bordeaux, Le Magasin à Grenoble…) les artistes entretiennent ici les légendes qui entouraient jadis l’endroit, encore appelé le Trou des fées…

THIERS - Laurence Gateau, directrice discrète mais déterminée, a su séduire les élus locaux pour faire du Creux de l’enfer "un endroit où l’on puisse encore avoir la paix…". En accueillant depuis six ans des artistes jeunes, ou encore peu connus en France, le centre s’est fait l’antichambre d’institutions de renom, avec des expositions personnelles de Patrick Van Cæckenberg (1990), Luc Tuymans (91), Fabrice Hybert, Marie-José Burki ou encore Gary Hill (92). Chaque nouvelle exposition semble ici repousser les limites qu’imposent la structure. Ainsi le projet de Roman Signer s’est-il déroulé sur un an : amorcé par une performance explosive sur la terrasse du bâtiment, suivirent un voyage en triporteur depuis Saint-Gall (Suisse), une exposition de nouvelles sculptures accompagnée d’une sélection d’actions en vidéo, enfin un livre d’artiste retraçant l’aventure.

Pour l’heure c’est Richard Fauguet, trente et un ans, originaire de Châteauroux, qui décline sur les trois niveaux du centre un credo plutôt domestique. Au rez-de-chaussée, toc en stock : le sol est couvert d’un patchwork de Vénilia où se côtoient effets de nacre et toile de Jouy, aspects cuivrés et carreaux de Delft, faux marbre et tissu provençal… Du plafond pendent des cages métalliques (écho à l’architecture), où cohabitent de bruyantes perruches et des têtes de mort aux couleurs bigarrées, fabriquées des mains de l’artiste en pâte à modeler, et dans lesquelles les premières viennent picorer.

Au premier, à travers des draps tendus devant les fenêtres, apparaissent des figures dessinées au chalumeau, alternant des plans d’Il était une fois dans l’0uest ou La Guerre des étoiles, avec des portraits de la famille de l’artiste. Au sol, en permanente mutation, une molécule de chien (1992), assemblage de globes de verre, pourrait bien attaquer d’ici la fin de l’expo le Grand Vador (1994), sculpture en tuyaux de poêle qui sort du sol et du plafond pour se perdre dans la grotte, endroit fameux (et fumeux) du centre.

La ménagerie de Fauguet s’étend jusqu’au sous-sol, avec par exemple ces trois têtes de chevaux en silicone (Mirida, 1994), un verre ballon entre les dents, qui sont comme rongés par des billes et des calots de verre – petite vérole multicolore, à moins qu’ils n’aient pas su garder les yeux en face des trous.

Les objets à transformation de Fauguet sont un peu construits comme les blagues : on ne comprend pas bien où ils veulent en venir et on se laisse surprendre par leur chute ; certains tournent plus court. Se vautrant dans le lieu commun comme les personnages de Bretécher dans la culture, Fauguet fait disparaître sens et fonction avec la dextérité d’un Man Drake, dont ce dernier numéro semble spécialement dédié à cette partie du public portée à croire qu’il se payerait sa tête…

Exposition Richard Fauguet jusqu’au 10 avril. Le Creux de l’Enfer, Vallée des Usines, 63300 Thiers, tél. 73 80 26 56

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Descente au Creux de l’enfer

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