Au Palais Rohan de Strasbourg

Baroque napolitain de Naples

Une sélection de soixante-six tableaux pour le survol d’un siècle d’or.

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 1114 mots

Après une exposition à Paris en 1983, la peinture napolitaine du seicento revient en France avec un lot d’œuvres encore jamais exposées en France. Elle est accueillie au Musée des beaux-arts de Strasbourg qui fait peau neuve et se vide de ses chefs-d’œuvre pour la circonstance.

STRASBOURG - L’idée d’exposer le baroque napolitain à Strasbourg est née de la rencontre de deux hommes, Jean-Louis Faure, commissaire de l’exposition, et Nicola Spinosa, surintendant pour les biens artistiques et culturels de la Ville de Naples, qui, profitant de la fermeture temporaire du Musée de Capodimonte, accepte de confier ses tableaux au public français. L’exposition est donc foncièrement napolitaine : non seulement elle rassemble des toiles peintes à Naples, mais ces dernières proviennent aussi d’églises, de collections privées ou publiques de cette ville.

Violence et contrastes
A l’aube du XVIIe siècle, la capitale du royaume des Deux-Siciles est un port renaissant et peuplé, doublé d’un vaste chantier architectural. Gouvernée par un vice-roi qui entretient une cour brillante, elle est également le siège de nombreuses et riches congrégations religieuses. Réceptive à toute nouveauté, elle fait figure d’un grand creuset où se brassent des courants venus d’ailleurs, et duquel a surgi une peinture éclectique et mouvante, faite de sensualité et de douleur. Attirés par cette ruche prometteuse, les artistes y rencontrent une fortune rarement égalée ailleurs. Il semble qu’ils aient joué un rôle de révélateur, sinon de détonateur dans l’expansion de la peinture à Naples. L’exposition s’articule autour de ces grandes figures, étrangères ou napolitaines, et de leurs émules. Plusieurs œuvres d’un même artiste y sont présentées, et le passage de l’une à l’autre est souvent étonnant, tant la manière est changeante.

De Caravage à Solimena
L’entrée en matière se fait par des vues gravées de Naples au XVIIe siècle, "pour se mettre dans l’ambiance", précise Jean-Louis Faure. On pénètre alors dans le siècle par le biais d’un Reniement de saint Pierre de Caravage, un peu décevant au demeurant. C’est à Naples que son art recevra l’écho le plus sonore. Le contact est brutal, monumental, naturaliste et sombre : peu de couleurs et une économie de moyens, mais une redoutable efficacité. Sa lumière contrastée, si particulière, restera une constante de l’art napolitain : Carlo Sellito, avec sa Sainte Cécile, ou Giovanni Caracciolo, avec son Baptême du Christ, adopteront ses principes. Deuxième intrusion, deuxième grand ferment : Jusepe de Ribera. Avec ce peintre espagnol, qui se fixe à Naples en 1616, arrive le "ténébrisme" et ces corps nus et ridés, criants de réalisme (Saint Jérôme et l’Ange), qui trouvent une résonance immédiate chez le Maître de l’Annonce aux Bergers (le Fils prodigue, le Maître d’école) ou chez Filippo Vitale (l’Ange gardien). Enfin, le brillant chromatisme du "néo-vénétianisme" triomphe dans les années 1630, aussitôt embrassé par Ribera (Apollon et Marsyas).

Curieusement, Naples est rebelle aux principes du courant baroque. Plus proche en cela du mysticisme espagnol, elle dédaigne les grandes machines chères à la Contre-Réforme pour un contact réel et simple, qui parle de lui-même. Il faudra alors attendre la césure de la moitié du siècle, doublement marquée par la révolte populaire de Masaniello puis par la peste de 1656, pour voir enfin triompher l’illusionnisme et le spectaculaire. La présence de Mattia Preti n’y est pas étrangère (la Vierge de Constantinople ; Modelli pour les portes de Naples), pas plus que l’évolution de Luca Giordano (l’Aumône de saint Thomas). L’exposition se clôt avec Solimena, dernière haute figure du siècle finissant qui nous offre, au travers de sa Visitation, un monde tout de mouvement et d’élégance, coloré et lumineux.

Une sensualité omniprésente
à Naples, le nombre considérable de couvents et d’églises engendre évidemment une production religieuse très forte. En dépit du sujet, la sensualité est toujours présente, dans la douceur ou la violence : sensualité des formes pleines, des couleurs, du clair-obscur omniprésent. Le beau Saint Sébastien de Preti en est l’exemple le plus saisissant, où toute manifestation du divin est occultée, où tout symbole sacré se fait discret. Il ne reste finalement que la représentation d’un corps offert et animé, sculpté d’éclats, magnifique et souffrant, et dont l’esprit n’aspire qu’à se détacher. La Judith d’Artemisia Gentileschi, isolée fort à propos, est un autre moment d’importance, dans le contraste terrifiant entre l’horreur du geste et la sérénité des femmes, l’opulence des chairs, le jeu des mains et des lignes croisées, la densité des tonalités.

On trouve plus de douceur et d’élégance dans les toiles d’Antonio de Bellis, de Massimo Stanzione ou de Francesco Guarino – la Sainte Agathe de ce dernier est un modèle de poésie nonchalante et sensuelle, de troublante monumentalité –, ainsi que dans les Saintes et la Cantatrice du séduisant et précieux Cavallino. Parmi les thèmes mythologiques, plus rares, celui d’Apollon et Marsyas est l’un des plus courtisés, notamment par Ribera et par son élève Giordano ; Marsyas offre au regard la chair mutilée d’un corps encore nu, non plus résigné mais de la plus violente expressivité, tordu de souffrance et sur lequel se penche avec délectation le divin Apollon. La beauté plastique des matières est telle que le regard se laisse prendre par ce jeu infini des couleurs, des lumières et des ombres.

Natures mortes
La magie continue d’opérer avec les natures mortes dont Naples s’était fait une spécialité. Tantôt rustiques et dépouillées comme des bodegon espagnols (Nature morte à la tête de bouc de Giovanni Battista Recco), elles ont aussi les accents luxuriants, éclatants et colorés des Volubilis et Boules de neige d’Andrea Belvedere ou des compositions de Paolo Porpora et de Giovan Battista Ruoppolo.

Enfin, les scènes de bataille enfin achèvent l’évocation de ce siècle d’or : Aniello Falcone et Andrea de Lione nous livrent ces furieuses mêlées d’hommes et d’animaux qui, telles des bas-reliefs, déroulent leur frise de combattants anonymes.

On pourrait toutefois regretter l’absence de tout décor, de toute mise en scène (parfois même de cadre), qui sont des éléments importants de l’art baroque. Cependant, il semble bien que cette époustouflante peinture se suffise à elle-même, et que la simplicité, l’extrême sobriété des murs nus, d’un gris presque blanc, ne soient là que pour mieux la servir.

Le service éducatif propose parallèlement une petite exposition-atelier articulée autour de quatre œuvres du Musée des beaux-arts, afin de permettre aux non initiés de mieux comprendre les principes de la peinture baroque. Ainsi, Valentin de Boulogne, Guerchin, Karl Loth et Bartolommeo Biscaino préparent le visiteur "au plaisir de la découverte".

"Baroque napolitain. La peinture à Naples au XVIIe siècle". Musée des beaux-arts de Strasbourg, Palais Rohan, 5 mars-23 mai 1994 ; Bordeaux, Musée des beaux-arts, juin-21 août 1994. Commissaires : Jean-Louis Faure et Michèle Lavallée. Catalogue rédigé sous la direction de Nicola Spinosa, Musées de Strasbourg, 170 p., 280 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Baroque napolitain de Naples

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