Les nouveaux directeurs de la Biennale

L’Europe prend ses quartiers à Venise

Jean Clair, Lluis Pasqual et Hans Hollein au-dessus des partis

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 899 mots

Il s’agit d’un véritable tournant. Le Conseil de direction de la Biennale de Venise a mis fin à une pratique partisane jusqu’alors bien implantée, en nommant pour les arts visuels, Gérard Régnier – plus connu, à travers ses écrits, sous le nom de Jean Clair –, Hans Hollein pour l’architecture et Lluis Pasqual pour le théâtre, ce qui représente une nouveauté absolue. En revanche, pour le cinéma, Gillo Pontecorvo (chargé de l’organisation des deux dernières Biennales) et, pour la musique, Mario Messinis (précédemment directeur de 1979 à 1982, et responsable l’année dernière de l’organisation du festival consacré à Luigi Nono) ont été confirmés dans leurs fonctions.

VENISE - Ces nominations sont valables jusqu’en 1997, à moins que n’intervienne entre temps la réforme de l’organisme, pour le moment ajournée. Mais il est certain que ces personnalités seront à l’origine de toutes les initiatives pour le Centenaire de 1995, qui devrait privilégier l’interdisciplinarité.

Une révolution ? Pas nécessairement, car l’équilibre entre nouveautés et confirmations est le fruit d’une recomposition entre les deux courants du Conseil, qui a mis fin, par ces nominations, à des choix reposant depuis vingt ans sur les équilibres politiques, mais aussi conditionnés par des associations culturelles plus ou moins affiliées, ou par des cercles académiques. Le changement de Conseil municipal a également facilité une telle décision. Le maire, Massimo Cacciari, vice-président de droit de l’organisme, et l’adjoint à la Culture, Gianfranco Mossetto, délégué par le maire pour le représenter au sein du Conseil, ont sans doute eu un rôle déterminant dans la désignation de spécialistes étrangers. Européens, plutôt qu’étrangers, comme le précise le président Gian Luigi Rondi, en soulignant une affinité de culture et surtout la disparition depuis le 1er janvier 1993, date de l’entrée en vigueur de l’unification européenne, de l’obligation juridique qui imposait des personnalités italiennes, en application de la loi actuelle de la Biennale.

Illustre victime de ce virage, Achille Bonito Oliva, qui fut chargé de l’organisation de la dernière Biennale, a suscité des prises de position passionnées tant en sa faveur qu’à son encontre. Une opposition qui s’est manifestée sur un ton parfois violent, allant jusqu’à la diatribe personnelle dans le débat du 19 février dernier sur l’avenir des arts visuels. Des six réunions organisées en janvier et en février par le Conseil de direction, pour établir les lignes du programme en vue du centenaire et pour choisir les directeurs les plus aptes à les réaliser, celle sur les arts visuels a été la plus enflammée, avec tous les historiens d’art, comme Calvesi et Barilli, d’accord pour critiquer l’organisation d’Achille Bonito Oliva mais incapables de proposer d’autre nom que celui du doyen Gillo Dorfles, et tout un déploiement de critiques, d’artistes et d’employés défendant ce qui a été fait et présentant de nouveau Bonito Oliva pour 1995. La nomination de Jean Clair (lire notre article ci-dessus), tenue secrète jusqu’au dernier moment et qui fut très discutée (9 voix contre 5), devrait contribuer à rasséréner ce climat empoisonné, à condition qu’il se place au-dessus des groupes qui s’opposent. Son nom fait certainement autorité, par le nombre et la qualité de ses publications et des expositions qu’il a organisées, quelquefois à contre-courant comme celle sur "les Réalismes (1919-1939)" au centre Georges Pompidou, en 1980, ou interdisciplinaires comme "L’Âme au corps", qui vient tout juste de fermer au Grand Palais. Si sa nomination a été envisagée en fonction de l’exposition historique du centenaire, pour laquelle il offre toutes les garanties nécessaires, certains craignent déjà un retour trop net du figuratif, totalement exclu en 1993, dans le domaine du contemporain.

Le responsable des archives
La confirmation de Gillo Pontecorvo à l’exposition du cinéma (9 contre 5) fut difficile elle aussi. Il lui était opposé le metteur en scène Nanni Moretti qui, pour certains, aurait garanti le changement de génération dans le secteur. En revanche, la réélection de Mario Messinis à la musique, pratiquement sans adversaires, et la désignation du Catalan Lluis Pasqual au théâtre, en dépit de la candidature de Maurizio Scaparro, furent plus sereines. C’est Hans Hollein, l’un des architectes autrichiens les plus importants, auteur du projet du Guggenheim de Salzbourg, qui a réuni sur son nom le plus grand nombre de voix favorables.

Reste à désigner, le 25 mars prochain, le responsable des Archives historiques, que tous considèrent comme un élément indispensable de liaison entre les diverses activités de l’organisation. Comme le propose Vittorio Fagone, l’un des rares critiques au dessus des partis, c’est là que pourrait finalement avoir lieu cette rencontre interdisciplinaire, réclamée depuis si longtemps et toujours demeurée à l’état de vague projet.

On pourra enfin commencer à établir un programme. Dans l’immédiat, peut-être même dès le 26 mars, la constitution d’un comité scientifique pour l’exposition historique du centenaire sera une occasion de vérifier la solidité de la nouvelle orientation.

Pour 1994, à part le festival du cinéma, les autres ressources disponibles iront aux archives. En revanche, tous les secteurs seront concernés en 1995. Le président Gian Luigi Rondi a déjà demandé une contribution extraordinaire de 10 milliards de lires en vue du centenaire et il a reçu des garanties à ce sujet du sous-secrétaire du Conseil, Maccanico, et du Trésorier général de l’État, Monorchio. La commune de Venise, propriétaire des locaux de la Biennale, a affecté des fonds de la Loi Spéciale pour la couverture et la climatisation du pavillon Italia ai Giardini, ainsi que des restaurations au palais du cinéma au Lido.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : L’Europe prend ses quartiers à Venise

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